Par Julien Guedj et Antoine Heimann

 

 

 

 

 

 

 

 

Sociologie politique du rap français : nouvelle approche du mouvement rap

 

 

 

 

 

 

SOCIOLOGIE POLITIQUE DU RAP FRANçAIS

 

 

La problématique : tout l’intérêt de notre réflexion sera de décrire et d’expliquer l’évolution qu’a subi le rap ; autrement dit, il s’agira de montrer les logiques à l’œuvre dans l’intégration d’un mouvement originellement contestataire, et les enjeux liés à ce phénomène. L’objectif de notre réflexion sera d’apporter un regard nouveau sur le rap français, de mettre en évidence le chemin parcouru depuis 10 ans , depuis le rap revendicatif jusqu’au rap « festif » actuel. Tout l’intérêt de notre étude sera de montrer que les études encore récentes qui conçoivent le rap comme un danger pour l’ordre social sont aveuglées par les préjugés ; au contraire, le rap actuel agit comme un renfort au système social et à sa hiérarchie. 

 

Ü    émergence d’un nouveau mouvement culturel contestataire issu des banlieues

Ü     consensus socio-médiatico-politique pour le stigmatiser, le décrédibiliser et nier le sens de son message. La stigmatisation nie et décrédibilise le message

Ü     ces stigmates sont repris par les acteurs du mouvement, (du fait de la pauvreté du capital culturel et symbolique) et ont dénaturé le mouvement, l’ont rendu inoffensif, déplaçant le message politique vers un message divertissant.

Ü     C’est ce qui a rendu possible l’intégration du mouvement et d’une grande partie de ses acteurs. Il convient de préciser que les acteurs n’ont été intégré dans leur nature originelle, mais ont subi une dénaturation qui a rendu possible cette intégration

Ü     Le système se trouve donc consolidé, comme le constatait Bakounine avec l’intégration des « en dehors »

 

La démarche méthodologique :

 1) Partir du sens commun, pour mettre à jour les préjugés et les stigmates qui « collent à la peau » du mouvement rap.

2) Déconstruire l’objet à travers l’analyse de la logique du champ, afin d’acquérir une connaissance objective du champ rapologique.

3) Reconstruire l’objet et retranscrire les logiques politiques, sociales et économiques à l’œuvre, afin de faire apparaître clairement l’enjeu que représente le contrôle de la définition du rap : imposer une définition inoffensive du rap pour intégrer des groupes sociaux potentiellement dangereux, et conserver un ordre social établi. 

 

 

I)  Le Sens commun du rap, ou un rap qui fait peur

 

  Il s’agira ici de montrer les a priori portés sur le rap français, à travers une revue de presse qui mettra en lumières les lieux communs et les idées préconçues que traîne le rap.

  L’analyse des textes-mêmes des rappeurs nous permettra d’identifier tous les stigmates que véhicule ce mouvement que nous qualifierons ici très simplement d’abord de musical, avant de s’attarder sur ses qualités sociales, politiques et économiques par la suite.

  Cette étude des paroles s’accompagnera d’une tentative d’analyse linguistique des textes, ou lyrics, qui n’aura pas pour but d’expliquer la technique propre à cet art musical, mais rendra compte d’un rapport spécifique à la société.

-         Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, 1995

-         Louis Jean Calvet, L’Argot, Que sais-je ?, 1994

-         Pierre Adolphe Bacquet, Rap ta France, 1996

 

 

 

 

II) Histoire du champ rapologique dans la conception bourdieusienne

 

  Notre réflexion visera à montrer à travers l’historique du rap comment le message originellement positif du rap a été détourné. Ce phénomène de détournement sera analysé à travers les prismes que constituent les logiques commerciales et de concurrence au sein du champ, pour finalement constater et expliquer les nouveaux enjeux du rap, et la nouvelle norme rapologique.

 → Comme tous les champs, le champ rapologique vit les luttes pour le contrôle du nomos , terme que nous définirons dans la vision bourdieusienne. Cette lutte oppose non seulement les nouveaux entrants dans le champ aux dominants, mais aussi les rappeurs politiquement conscients et engagés ( qui voient dans le rap un moyen d’action collective ) aux rappeurs édulcorés et récréatifs qui ne voient dans le rap que l’expression artistique d’un mouvement culturel ( le hip-hop ) non engagé. Nous mettrons ici un terme aux clichés sur le succès des rappeurs, et de critiquer la vision du rap en tant que « moteur de trajectoire sociale » propre à Anne Marie Green.

  Il s’agira aussi de définir le capital symbolique spécifique au champ rapologique : tout capital symbolique implique un monopole arbitraire ; dans le cas du rap, le nomos définit les thèmes à aborder dans les textes, et ceux qui n’ont pas leur place dans le mouvement, d’après la norme ( ou tendance ) actuelle.

  L’analyse de la logique du champ ne pourra se passer d’expliquer les influences nouvelles d’un gros média, la radio Skyrock, qui joue pleinement sa part quant à l’établissement et à la valorisation du nomos rapologique. Nous verrons les rétributions que tirent les agents de leur participation au champ.

   On arrive à un constat dans les différentes mouvances du champ, qui peut s’analyser comme suit : on a d’un côté les rappeurs ayant eu le capital culturel et symbolique de repousser le stigmate et de se forger une identité collective fidèle à l’essence du hip-hop ; de l’autre côté sont présents les rappeurs n’ayant eu d’autres solutions que de reprendre le stigmate imposé, par manque de capital culturel et symbolique. L’opposition entre rappeurs conscients et récréatifs sera donc à analyser en gardant toujours en tête ce décalage de capital.

 

-         Luc Boltanski, La formulation des règles de la BD, ARSS, 1975

-         Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art

-         Pierre Bourdieu, Le Couturier et sa griffe

-         Jean-Pierre Vivier, Culture hip-hop et politique de la ville, 1991

-         Anne Marie Green, Les Adolescents et la musique

-         Anne Marie Green, Des Jeunes et des musiques

-         Entretien réalisé avec Hamé, membre du groupe La Rumeur

-         P.Bourdieu, Propos sur le champ politique

 

III) Imposition du stigmate et effet de consécration

 

  Cette partie s’efforcera de mettre en évidence les enjeux de la double stigmatisation des rappeurs, dénaturant leur message originellement politique pour le transformer en expression violente et dépourvue de sens, et enclavant le rap dans des thèmes récréatifs et festifs.

  Il s’agira ensuite de déchiffrer les mécanismes de reprise de ces labels par les rappeurs, pour mettre en évidence l’importance des capitaux culturels et symboliques. Nous montrerons que c’est précisément cette labelisation de violence et de non sens subie par les rappeurs qui a paradoxalement rendu possible leur intégration totale dans le système d’abord économique, puis social. La suite de notre réflexion se portera sur les intérêts liés à l’intégration du rap.

→ La récupération du rap par les pouvoirs publics présente plusieurs intérêts : capacité de toucher une jeunesse à « fort potentiel de dangerosité », médiatisation des élus… Néanmoins, le développement des actions culturelles masque l’absence de projets structurels de grande ampleur.

→ Considérant ainsi le rap comme un médium pour atteindre une jeunesse difficilement accessible, l’intérêt de notre réflexion apparaîtra évident quand nous nous appuierons sur les analyses de Bourdieu, de Boltanski, pour mettre en avant l’effet de consécration que produit la nouvelle définition du rap. Nous verrons donc l’importance qu’ont les thèmes abordés par le rap et découlant de la nouvelle définition du rap, qui tendent à éviter toute remise en cause de l’état de fait social. Ce sera aussi l’occasion de voir quel est le degré d’intentionnalité des acteurs du mouvement quant à leur participation dans ce mécanisme de consolidation sociale, et quelle rente ils en tirent. L’idée forte du mémoire résidera donc dans la conception novatrice du rap que nous tenterons de développer, la définition imposée au rap produit un effet de consécration de l’ordre établi, en dénaturant le mouvement, et en limitant les thèmes abordés.

-  P.Bourdieu, Genèse et structure du champ religieux, Revue française de sociologie, 1971

-  P.Bourdieu, Le Couturier et sa griffe :contribution à une théorie de la magie sociale, ARSS, 1975

-  P.Bourdieu, Ce que parler veut dire, 1991

-  L.Boltanski, Le Fétichisme linguistique, ARSS, 1975

-  M.Boucher, Rap, Expression des lascars

-  Mauger et C.F Poliak, La Politique des bandes, Politix, 1991

-  Mauger et C.F Poliak, Les Loubards, ARSS, 1983

 

Ü  La conclusion : cette étude aura montré comment le rap, mouvement politique contestataire à l’origine, a été stigmatisé, dénaturé, puis intégré, pour finalement se transformer, dans sa définition actuellement dominante, en un instrument de la consécration de l’ordre social établi, s’adressant à un groupe social difficilement accessible, et vu comme potentiellement dangereux.

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

Serait-il nécessaire de justifier notre ambition d’appliquer au mouvement musical qu’est le rap une analyse sociologique ? Qu’est-ce que la sociologie peut apporter à la compréhension d’un mouvement artistique ? C’est justement par la rigueur scientifique qu’apporte la méthode sociologique que, tout en respectant les travaux précédents faits sur le même thème, nous prétendons  apporter des perspectives nouvelles, et ainsi élargir le champ de compréhension concernant le rap. C’est en faisant preuve de la plus grande « neutralité axiologique » possible que nous tenterons d’apporter modestement un regard nouveau sur le rap, un sujet qui se libère difficilement des préjugés et dont on saisit rarement toute la portée.  

 

Le recours aux travaux d’A.M. Green ( Les Adolescents et la musique, 1986 ) va nous permettre de montrer plus clairement en quoi la méthode sociologique rend possible une analyse politique du mouvement rap.

 

Dans son ouvrage, A.M.Green nous explique qu’une conception idéaliste affirme que la musique se réduit à un phénomène purement artistique, c’est-à-dire qu’elle est un univers clos et fermé, isolé dans sa nature ( voir travaux de Marcel Belviannes, Sociologie de la musique, 1951 ).

En opposition, une autre conception, en réduisant la musique aux seuls faits sociaux, élimine toute spécificité de la musique ( voir travaux d’Alphons Silbermann, introduction à une sociologie de la musique, P.U.F, 1955 )

Plus récemment, les travaux d’Adorno et de Supicic ont essayé de « mettre en valeur à la fois les fonctions sociales et les fonctions purement artistiques » de la musique. Pour atteindre cet objectif, Supicic met en évidence que la sociologie de la musique, bien que spécifique, peut utiliser l’Histoire Sociale de la musique ( en tant qu’elle décrit l’histoire de la musique en liaison avec l’histoire des sociétés ), la Musicologie ( parce qu’ elle prend en considération tous les aspects de la musique, y compris sociaux), la Philosophie sociale.

L’une des parties de la sociologie de la musique serait l‘étude de la musique dans les rapports avec et dans la société ( classes, strates, groupes sociaux ) ; et l’autre partie, l’étude de la musique comme phénomène social. Il s’agit donc d’étudier la musique à l’intérieur d’une réalité sociale, en d’autres termes d’étudier  «  la portée et l’importance de la pression ou de l’influence exercée par chacun des conditionnements sociaux concrets par la  société sur la musique, ou inversement » ( Supicic, Musique et Société, Perspectives pour une sociologie de la musique, 1971).

Au premier abord la méthode d’Adorno semble être identique à celle de Supicic puisqu’il considère que la « Sociologie de la musique entretient une relation double avec son objet : interne et externe » ; il insiste sur le fait que la sociologie de la musique doit mettre en évidence « ce qui est inhérent à la musique en soi en tant que sens social, et les positions et la fonction qu’elle occupe dans la société » (Adorno, «  Réflexions en vue d’une Sociologie de la musique », Musique en jeu, 1972). Son propos n’est toutefois pas de proposer une synthèse entièrement développée qui définirait des méthodes et délimiterait le champ de la sociologie de la musique. Il lui semble beaucoup plus fécond de « proposer des modèles de recherche en Sociologie de la musique » afin de ne pas séparer « la méthode et le fait ». Pour Adorno, « la méthode ne traite pas le fait comme quelque chose de défini et d’invariant mais se modèle toujours en fonction de celui-ci, et se légitime par ce qu’elle en fait apparaître ».  Plus précisément, le problème de la sociologie de la musique réside dans sa spécificité, c’est-à-dire sa non conceptualité. En effet, cet «  art sans paroles ni concept » nécessite un déchiffrage de contenu social. Un sociologie de la musique est donc conditionnée par « la compréhension du langage musical ».

Ainsi, constate-t-on qu’Adorno est le seul auteur, pour définir la Sociologie musicale, qui tienne compte de la spécificité de la musique, en tant que fait social et c’est précisément cette volonté de ne pas perdre de vue les deux aspects interne-externe de la musique qui l’amène à ne pas définir de méthode propre à la sociologie de la musique, cette dernière pouvant se situer dans différents domaines qui peuvent être chacun traités scientifiquement.

 

 

Nous avons admis avec Supicic et Adorno qu’en tant que fait social, la musique a sa spécificité et que la sociologie de la musique doit étudier quel est le sens que la musique prend par rapport à la société. Toutefois l’affirmation de cette spécificité de la musique a-t-elle pour autant une unité et comment se situe-t-elle par rapport à un passage d’un ordre naturel au culturel ? La réponse à ces deux questions conduit à mettre en évidence quels sont les référents du concept de « musique » que nous utiliserons dans notre analyse.

 

Nous avons abordé plus haut les deux positions sociologiques de la musique qui ont dominé ce terrain durant une certaine période. L’une de ces positions considérait que la musique est une abstraction, qui a une réalité et qui est isolée dans sa nature. Il s’agit d’une conception idéaliste de la fonction de la musique. L’autre position, comme nous l’avons constaté, tend à mettre en évidence le rapport dialectique qui s’établit entre les « forces de production musicale » et les « rapports de production ». La musique se définit alors comme un élément lié dialectiquement à un ordre social donné. Cette approche montre la difficulté à définir la musique , car il s’agit à la fois d’un objet qui est produit, et d’un objet qui est perçu. C’est pour cette raison que Jean Molino pense « qu’il n’y a pas une musique, mais des musiques, pas la musique, mais un fait musical total » (Molino Jean, « Fait musical et sémiologie de la musique, Musique en jeu, Janvier 1975). Comment comprendre ce fait musical total ?

Comme l’a montré Claude Levi-Strauss dans ses diverses études, la musique est socio-culturelle, « la nature produit des bruits, non des sons musicaux dont la culture possède le monopole en tant que créatrice des instruments et du chant » ( Levi-strauss, Le Cru et le Cuit, 1964 ).

Jacques Attali dans « Bruits » ( P.U.F, 1977 ) a analysé le fait musical en relation avec la société. Il considère en effet la musique comme une sorte de guide qui permet de déchiffrer l’organisation économique et idéologique à la fois du passé, du présent, et de l’avenir.

Pour établir sa grille théorique d’études du fait musical, il montre comme F.Escal ( in Musique, Langage, Sémiotique Musicale, 1976 ) que si la musique ne peut pas permettre de définir une sémiologie parce qu’elle n’a pas un sens linguistique, elle est néanmoins porteuse de sens et « instrument de connaissance ». C’est pour cette raison qu’il n’étudie pas le fait musical en tant que tel, mais qu’il utilise le fait musical comme moyen d’analyse de la société globale. En effet, pour J.Attali, ce qui caractérise la musique, c’est qu’elle « reflète la fabrication de la société, elle est la bande audible des vibrations et des signes qui font la société… ». C’est précisément cette manière de considérer la musique qui est tout à fait nouvelle en comparaison des théories que nous avons abordés plus haut. Il prolonge cette nouvelle approche du fait musical par la définition qu’il donne à la musique ; la musique « mode de communication entre l’homme et son environnement, mode d’expression sociale et durée », est une communication dont les rapports se situent essentiellement avec le pouvoir. En effet, la musique pour J.Attali, est issue du Bruit, qui, « lorsqu’il est façonné par l’homme avec des outils spécifiques, lorsqu’il est son, devient source de projet, de puissance, de rêve : Musique ». Et c’est pour ne pas être dérangé par ce bruit ( « qui n’existe que par rapport au système où il s’inscrit : émetteur, transmetteur, récepteur » ), que le pouvoir le canalise. La musique devient du fait de cette « organisation du bruit » instrument du pouvoir pour lequel elle est créatrice d’ordre » puisqu’elle signifie symboliquement la canalisation de la violence et de l’imaginaire » mais également instrument de subversion car elle évolue sans cesse et englobe les nouveaux bruits d’une société.

C’est cette spécificité de la musique, créatrice d’ordre et de subversion, qui doit permettre de faire une analyse sociale car « il faut apprendre à juger une société sur ses bruits, sur son art, sur sa fête plus que sur ses statiques ». Nous constatons une fois de plus que la musique ne peut pas être abordée comme une entité abstraite, mais comme un fait inscrit dans le social. C’est dans cette perspective d’une sociologie politique que nous mènerons notre étude, prenant ainsi le contre-courant de diverses études qui ont bien souvent abordé le rap avec des outils trop proches de la psychologie à notre goût.

 

Une fois la démonstration faite de l’utilité d’une analyse traitant le rap comme un fait social à part entière, il convient maintenant de détailler plus précisément notre projet. Cette étude visera à rendre compte de l’évolution du rap, que nous exposerons brièvement lors d’un historique du mouvement musical, pour en arriver à un constat : à l’origine très engagé politiquement, voire bien souvent subversif, le rap et le message qu’il véhicule ont aujourd’hui bien changé. Le rap des débuts et le rap d’aujourd’hui n’ont plus rien en commun ; à l’origine, les têtes d’affiches du mouvement rapologique, à l’image du groupe bien connu NTM, tenaient des propos et faisaient passer des messages politiques :

 

 

SUPREME NTM, 1995, « Qu’est-ce qu’on attend ?» tiré de l’album « Paris sous les bombes » :

 

 

 «Dorénavant la rue ne pardonne plus

Nous n’avons rien à perdre, car nous n’avons jamais eu…

A votre place je ne dormirais pas tranquille

La bourgeoisie peut trembler, les cailleras sont dans la ville

Pas pour faire la fête, qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu

Allons à L’Elysée, brûler les vieux

Et les vieilles, faut bien qu’un jour ils paient

Le psychopathe qui sommeille en moi se réveille

Où sont nos repères ? Qui sont nos modèles ?

De toute une jeunesse, vous avez brisé les ailes

Brisé les rêves, tari la sève de l’espérance ;Oh ! Quand j’y pense

Il est temps qu’on y pense, il est temps que la France

Daigne prendre conscience de toutes ces offenses

Fasse de ses hontes des leçons à bon compte

Mais quand bien même, la coupe est pleine

L’histoire l’enseigne, nos chances sont vaines

Alors arrêtons tout plutôt que cela traîne

Ou ne draine, même, encore plus de haine

Unissons-nous pour incinérer ce système »

 

 

 

 

Ces messages ultra subversifs ne sont de nos jours plus repris par les leaders de la scène rap, bien au contraire. Le message du groupe NTM, autrefois le groupe le plus radical de la scène rap française, a changé  ( extrait du titre « Ma Benz », album « Suprême NTM » ) :

 

 

JoeyStarr:
Tu es ma mire, je suis la flèche que ton entrejambe attire
Amour de loufiat, on vivra en eaux troubles, toi et moi
Mais ce soir faut qu'ça brille, faut qu'on enquille,
J'veux du freestyle
Je veux que tu réveilles, tu stimules mon côté bestial
Pump'baby, monte sur mon Seine-St-Denis fonk
J'te la f'rai façon, j'te kiffe, y a que ça qui me rende jonke
A ton contact, je deviens liquide liquide
C'est comme un trou intemporel, bouge ton corps de femelle
Regarde le long de tes hanches, je coule
Ondule ton corps, baby, ouais, ok ça roule
Je deviens insaisissable à ton contact l'air est humide
C'est comme une étincelle dans ton regard avide

 

 

 

 

 

Ce rapide exemple de l’évolution du message du message NTM pourrait s’appliquer au mouvement rap tout entier, tant les groupes « politiquement engagés » sont aujourd’hui minoritaires dans le champ. Le champ était à l’origine fortement marqué par un discours politique, certes loin des clivages gauche/droite et du monde des professionnels de la politique, mais traitant le plus souvent des rapports de domination. Le rap était pour ainsi dire « politisé ».  La tendance récente et actuelle nous fait constater que les thèmes abordés par les rappeurs ont bien changé. Pour preuve, lors de la cérémonie des victoires de la Musique en 2000, celle de la meilleure révélation fut attribué au groupe « 113 » ; c’est-à-dire à un groupe dont le message politique est quasi inexistant. En l’espace de dix ans, nous avons donc assisté à un retournement de la norme ( le nomos bourdieusien que nous définirons plus tard ) en matière de rap : autrefois très politiquement marqué, le rap actuellement dominant ne comporte plus cette caractéristique.

Dorénavant, la majorité des leaders du mouvement rap a perdu toute tonalité politique aussi explicite, pour bien souvent se contenter de thèmes plus légers, plus attractifs pour le grand public, et donc plus vendeur. On pourrait ainsi dire que le rap a été « dénaturé » ; a été dénaturé ou s’est dénaturé? La nuance est importante, et nous la commenterons plus loin.

Tout l’intérêt de notre réflexion sera d’expliquer cette « dénaturation » du mouvement rap, de comprendre pourquoi et comment elle a eu lieu, et de mettre en lumière les enjeux relatifs à cette « dénaturation ». Autrement dit, il s’agira d’exposer les logiques à l’œuvre dans l’intégration d’un mouvement originellement contestataire. Car le sujet que nous abordons n’est pas autre chose que les mécanismes divers qui ont amené le mouvement rap à s’intégrer ( certains vous diront à être intégrés ).

 

 

« le fait musical n’est pas une abstraction ;c’est un fait de culture et en tant que telle la musique ne peut être neutre ; elle véhicule toujours une idéologie »

A.M.Green,  Les Adolescentes et la Musique, 1986

 

La thèse que nous soutiendrons dans cette réflexion peut se résumer comme suit : nous analyserons quelles ont été les influences des logiques sociale, économique et politique à l’œuvre dans l’imposition d’une définition inoffensive du rap, et quels ont été les enjeux relatifs à l’intégration d’un mouvement à « dangerosité potentielle ». Il s’agira de mettre à jour l’idéologie sous-jacente à la métamorphose du rap constatée sur la dernière décennie. 

 

Quel phénomène allons nous tenter d’expliquer ?

Commençons par décrire en plusieurs étapes très caricaturales, mais somme toute réaliste, l’évolution que nous allons théoriser : au début des années 80 apparaît en France un mouvement culturel (le hip-hop) contestataire issu des banlieues. Un consensus socio-politico-médiatique, que nous décrirons attentivement, s’établit pour le stigmatiser, le décrédibiliser, et nier ce faisant le sens de son message. Car en labellisant le rap comme une musique avant tout violente et brutale, l’effet atteint réside dans la négation de toute message conscient, élaboré et politique qu’aurait pu véhiculer les rappeurs. Par la suite, ces stigmates sont repris par les acteurs du mouvement, du fait de la pauvreté de leur capital culturel et symbolique comme nous le démontrerons plus loin. Ce phénomène de stigmatisation a donc « dénaturé » le mouvement rap, le rendant inoffensif, déplaçant le message politique vers un message plus divertissant et récréatif. C’est précisément l’effacement du message politique qui a rendu possible l’intégration du mouvement et d’une grande partie de ses acteurs. Il conviendra de préciser plus loin l’influence qu’a eu le champ économique sur cette évolution. Au final, le système social se trouve donc consolidé, comme le constatait Bakounine avec l’intégration des « en-dehors ».

Tout notre travail sera donc de dépasser le sens commun savant, qui voit dans le mouvement rap un danger pour la société, et de montrer en quoi le rap et ses acteurs occupent la fonction, qu’ils le déclarent ou non, de renfort à l’ordre établi. Cette phrase n’est pas vide sens, et nous prouverons que le rap contemporain agit, par les thèmes qu’il aborde, comme un adjuvant au système social. Nous montrerons en quoi le rap remplit une fonction de « consécration » du système social pour reprendre la notion de Bourdieu, que nous définirons plus loin.

Pour résumer notre pensée, nous exposerons au cours de cette réflexion comment a évolué le nomos bourdieusien en matière de rap, pourquoi il a évolué ainsi, et quels effets ont suivi.

 

Exposons maintenant brièvement notre démarche méthodologique :

Nous partirons d’abord du sens commun, pour mettre à jour les préjugés et les stigmates qui  « collent à la peau » des rappeurs.

Par la suite, nous déconstruirons l’objet de notre analyse à travers l’étude de la logique du champ, afin d’acquérir une connaissance objective du mouvement rap.

Finalement, nous reconstruirons l’objet et nous retranscrirons les logiques politiques, sociales et économiques à l’œuvre, afin de faire apparaître l’enjeu que représente le contrôle de la définition du rap : imposer une définition inoffensive du rap pour intégrer des groupes sociaux potentiellement dangereux, et ainsi conserver un ordre social établi. 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

Première partie : le sens commun du rap, ou un rap qui fait peur

 

 

A) Préjugés rapologiques

 

Le rap a mauvaise réputation. On peut même dire que le rap est précédé par un certain nombre de clichés, de préjugés, qu'il traîne depuis maintenant quinze ans.

Le mouvement rap, entendons par-là les artistes rap et leur public, véhicule une image plus que négative. La violence et l'agressivité sont les deux maîtres-mots qui constituent l'ensemble des clichés affiliés au rap. Mais ce n'est pas tout; on reproche également au rap d'être non seulement violent et agressif, mais aussi superficiel, sexiste, matérialiste, terre à terre, incohérent, répétitif... Bref, la liste est longue.

Marginal et contestataire depuis sa création - comme nous le verrons plus tard - le rap a toujours "traîné" une image de musique rebelle et anticonformiste. Issue des ghettos nord-américains, cette nouvelle tendance a très tôt suscité la curiosité mais aussi la crainte. Original dans la forme mais aussi dans le fond, le rap a rencontré de gros problèmes d'intégration dans l'industrie musicale. En effet, provenant des quartiers dits "défavorisés", les artistes rap ont immédiatement été vu comme des "voyous s'essayant à la musique".  Les rappeurs, pour la plupart issus de ces zones urbaines défavorisées, ont donc logiquement été considérés comme des gens "peu fréquentables".

Le rap a été stigmatisé comme une musique de délinquants, faite par et pour des délinquants. C'est comme si le rap avait colporté avec lui tous les clichés, tous les stigmates que connaissent les quartiers dits "sensibles".

Il s'agit donc de déterminer si ces clichés sont fondés véritablement, c'est à dire de savoir si ces clichés ne sont que le reflet d'un mouvement réellement violent et agressif, ou bien s'ils sont purement fictifs, c'est à dire qu'ils appartiennent au registre du simple "préjugé" et ainsi non fondés? Toujours est-il que ces clichés existent.

D'où proviennent-ils? Sur quoi se fondent-ils? Qui les véhicule? Autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre.

 

 Revue de presse.

 

Ces articles sont issus des archives du journal Le Monde, consultés et achetés via le site Lemonde.fr sur internet. A travers l'analyse de ces articles, il s'agit de mettre à jour cette stigmatisation et de montrer quels sont les différents clichés propres au rap. ( voir annexes, à la fin du mémoire )

 

Le premier article, écrit par Stéphane Davet, essaye de nous éclairer un peu plus sur l'ambiance qui règne dans les concerts et dans les coulisses du rap français. Cet article représente un excellent exemple de ce processus de stigmatisation que nous allons essayer de mettre à jour.

"Un genre menacé par ses propres excès", le titre - très accrocheur -, reflète bien la volonté du journaliste de mettre l'accent sur la marginalité et sur la violence du rap français. En effet, le mouvement rap est tellement marginal - et tellement violent - qu'il représente un danger pour lui-même. Mais ce n'est pas tout, très tôt dans l'article (1) et (2), le journaliste explique que la plupart des concerts rap sont systématiquement le théâtre "d'échauffourées" et de "bagarres" qui "minent" les tournées des différents artistes. De plus, le public n'est pas le seul responsable de ces actes violents; les artistes eux-mêmes ont leur part de responsabilité puisqu'ils se comportent de la même façon que leur public (3). Les choses sont claires : la violence règne partout lors des évènements rap et les "producteurs deviennent de plus en plus réticents à programmer du rap". Le journaliste va même jusqu'à comparer le groupe de rap à une "bande"(4), ce qui signifie que le groupe devient une sorte de gang, d'association de malfaiteurs, d'organisation criminelle forcément très violente et très dangereuse. Dangereuse pour le rap lui-même(5), puisque cette violence décourage la promotion du rap, mais aussi pour l'ensemble de l'industrie musicale(6)- et en particulier les maisons de disques -  puisque dorénavant, avec les rappeurs, on a affaire à de vrais gangsters, au mieux avec de simples délinquants. On peut parler de stigmatisation dans le sens où le journaliste ne nuance que très peu ses propos. En effet, du début jusqu'à la fin de l'article, le rap est systématiquement vu comme une musique autour de laquelle gravite un univers de violence, de brutalité et d'agressivité. Le rappeur est perçu comme un personnage douteux, mi-artiste mi-gangster, peu fréquentable et qui cultive cette violence inhérente au mouvement.

En conclusion, le journaliste fait un commentaire très surprenant. Bien qu'il avoue que ce n'est pas la culture rap qui engendre la violence, il affirme néanmoins que certains groupes adhèrent "complaisamment" à des valeurs proprement rapologiques qui sont quant à elles inacceptables(7).

Sous le couvert d'une enquête journalistique classique, Stéphane Davet va stigmatiser la culture rap dans son ensemble et lui accoler un certain nombre de clichés ( violence physique et verbale, insécurité, ...) qui vont caricaturer le rap et renforcer l'idée que le rap reste une musique de vandales.

 

"Le rap, entre violence des textes et violence des fans", écrit par Michel Guerrin, est le titre - explicite - du deuxième article étudié. Là encore on ne peut que être frappé par le parti pris de l'auteur. En effet, même si celui-ci ne s'attarde que sur la participation des groupes de rap dans les festivals musicaux ( en particulier le Printemps de Bourges ), il participe également à cette stigmatisation catégorique de la musique rap. Définissant le rap " entre violence des textes et violence des fans", il caricature le rap en ne présentant que son image la plus négative. D'emblée, c'est à dire dès la première phrase, il explique que cela fait trois ou quatre ans que "le rap perturbe les festivals musicaux"(1). Il continue par une peinture peu flatteuse de la culture rap en décrivant les fans de rap des dits festivals comme des jeunes, certes "revendicatifs", mais avant tout "agressifs"(2). Le public rap est décrit comme "une centaine de jeunes vêtus de jogging et coiffés d'une casquette et qui n'ont pas de billets"(3). Cette caricature grossière reflète d'une part les a priori du journaliste mais aussi les préjugés que la plupart des gens ont spontanément quand on leur parle de rap. D'autre part, elle insiste sur le fait que les fans de rap sont non seulement violents mais qu'en plus ils "ne payent pas leur billet". Le journaliste parle de "concert à  hauts risques" pour une "population à risques"(4) et, en faisant témoigner la direction technique du festival, constate que face à ce phénomène c'est toute l'organisation du festival qui s'en trouve bouleversée.

En effet, les concerts rap, et la violence certaine différents des autres concerts et nécessitent un encadrement spécial. C'est pourquoi la direction du festival, refusant de faire prendre des risques à son propre service de sécurité, fait appel à une "entreprise spécialisée", épaulée "d'une dizaine de CRS et d'un vigile avec son chien". De plus, pour dépeindre au mieux le caractère dangereux des représentations rap et de la population qu'elles attirent, le journaliste fait témoigner le vigile spécialement concerté pour l'occasionqu'ils engendrent, sont radicalement : "Le chien, avec les gens qu'il y a, il est tendu"(5). Le mouvement rap, artistes et public, est violent et agressif - même le chien le dit - et il perturbe les festivals.

 

Cet article constitue un autre exemple des clichés qui vont généralement de pair avec le rap. La presse participe donc au processus de stigmatisation qui enclave le rap dans un monde violent et stéréotypé.

 

Cette stigmatisation est-elle volontaire? Quels ont été ses effets? Comment les rappeurs ont-ils réagi?

 

 

 

B) Des textes stéréotypés

 

LUNATIC avec le titre "HLM 3"
(E. Yaffa/Y. Sekkoumi/M. Jouanneau)
Extrait de l'album "Mauvais Oeil".

Booba

 

J’kiffe ( j'aime ) les bizness illégaux
La sape, les caisses et les gos ( les filles )
Smoker ( fumer ) des gros bouts d’shit, après j’ai l’groove grave
Bédave ( fumer ), sexe, pillave ( boire ) sec dans mon clan
J’peux pas faire mieux qu’mon rap de banlieue
J’rappe comme j’cause, haine à grosse dose,
La rage comme guide et c’est pour ça qu’j’parle toujours des mêmes choses,
Tchatche de la zone, prône la guerre aux autres hommes
Ceux qui parlent trop mal, chope et hop sous l’trôme
J’aime la grande vie
C’est la merde, mais j’l’aime car c’est la mienne
Y’a pas de bonheur sans problèmes
Réveil impulsif, j’roule un spliff de skunk,
Et j’kick sur un beat de funk
Pas de lyrics de fils de pute,
Insolent même sur mes bulletins,
Cousin, j’suis l’bitume avec une plume

113 avec le titre "Truc De Fou"                                        

 Extrait de l'album " ni barreaux, ni frontières, ni barrières", 1997

 

J'fais des trucs de dingue comme un gogol foncedé à l'alcool.
J'prends le monopole, j'prends mon envol.
J'escroque et à tous les coups je fuck.
Je me moque, je vis dans mon époque.
J'te braque même pour du toc.
Appelle-moi le barjeot, le malade qui marche en solo.
Accompagné de mon calibre, de mon couteau, je te troue la peau.

 

LUNATIC avec le titre "Le Crime Paie"
Extrait de la compilation "Hostile".
1996

 

Seul le crime paie
Aucun remords pour mes pêchés
Tu me connais je suis assez bestial pour de la monnaie et
N'aimant que manier l'acier pour les billets
Si t'entends des "click click"
Seul le crime paie!

Les différents stigmates véhiculés par la presse sont étonnamment repris par les acteurs de la scène rap. A la vue de ces trois textes, on s'aperçoit que l'ensemble des clichés relevés dans la revue de presse ( violence, sexe, drogues ) sont repris un par un par les auteurs.  Il est question tour à tour de "bizness illégaux",de violence gratuite, de vêtements, de voitures, de sexe, de drogues, ... bref de tout ce qui constitue le côté obscur du rap. Force est de constater que les rappeurs prennent un malin plaisir à reprendre ces clichés et vont même jusqu'à se les approprier. Alors que le mouvement hip-hop prônait, à ses débuts, la paix, l'amour et l'unité ( peace, love and unity ) ainsi qu'une vie saine; il semble que cette période soit désormais révolue. Les rappeurs, à travers des textes explicites et crus, font l'apogée d'un certain mode de vie que l'on pourrait qualifier - et ce serait un euphémisme - de déviant.

 

113 avec le titre "Hold Up" extrait de l'album " les princes de la ville"

Je suis postiché, ouais je suis postiché!
J'ai les mêmes cheveux que Dalida
la barbe de Fidel Castro
et un gros Berreta!
La guimbardine de Columbo,
les lunettes d'Elton John,
et la dégaine distinguée des frères Dalton.
Les lieux sont repérés, 9h devant la banque,
j'suis devant le sas, je sonne et je rentre,
je fais la queue comme tout le monde,
mes pôtes m'attendent 2 rues plus loin,
je suis opérationel dans 30 secondes.
Je guette le vigil, et vu qu'il me regarde bizard,
je m'aproche vers lui et je lui dis: "Quest-ce que t'as, connard?"
Je lui met un coup de plafond et de suite je sors
mon arme et je braque la grosse,
vue qu'elle se trouve derrière le comptoir,
"Ferme t'as gueule on va pas en faire tout une histoire."
D'ailleurs, hey ouvre le sas (ouvre le sas!!)
y a mes potes sur le trottoir,
je sors les sacs de sports et en un temps record,
met juste l'oseille et dans 5 minutes je sors

 

Ce texte, qui décrit avec précision un braquage de banque imaginaire, témoigne de cet état d'esprit mafieux qui règne dans le rap français. Il ne s'agit plus de petite délinquance mais bel et bien de crime organisé ( fictif ). Loin de se défendre des clichés qui lui sont reprochés, les rappeurs reprennent et revendiquent ces stigmates comme thèmes centraux de leurs oeuvres. La violence verbale et physique semble donc être inhérente au rap français. Pourquoi cette violence est-elle inséparable de la culture rap? Booba, du groupe Lunatic semble se poser lui-même la question :

 

LUNATIC avec le titre "Les Vrais Savent"
Extrait de la compilation "L 432".
1997

 

Pourquoi j'suis violent dans mes rimes,
Friand de crime dans mes textes?
Les vrais savent [Les Vrais savent]
Que c'est peut-être la vie que j'ai
Ils veulent nos têtes
Nous voir en bas
Niquer nos sectes
La vie nous rejette fils mais t'inquiéte pas
La roue tourne
Les billets changent de main
La douleur cesse
Ma couleur blesse cette vie de chien
Stoppe le flow de sang
Ce sang c'est le vôtre
Faut prendre le leur
Les vrais savent
Préviens les autres

 

Le climat de violence dans lequel baigne le rap embarrasse généralement les commentateurs, même lorsque ces derniers se présentent comme d’ardents défenseurs du hip-hop, ils restent, pour la plupart, réticents devant ses débordements agressifs. Conséquence d’une situation sociale désastreuse qui se perpétue, ou même s’envenime, la violence qui s’exprime dans le rap s’expliquerait par les circonstances sociologiques qui déterminent les conditions de sa production. Bien qu’un peu mécaniste, l’analyse n’est certes pas sans pertinence, et loin de nous, en tout cas, l’idée de nier que la misère, la discrimination et les pressions de tous ordres qui pèsent sur les banlieues défavorisées, faisant de ses représentants des citoyens de seconde zone, n’ont pas une influence décisive sur une forme d’expression qui se veut, à plus d’un titre, emblématique pour la jeunesse des cités. Toutefois à se focaliser sur le terrain exclusif de la sociologie et de la politique on finit par négliger l’usage proprement poétique - voire franchement ludique - que les rappeurs font de la violence.

C’est à cette dimension esthétique de l’usage de la violence dans le hip-hop qu’est consacrée cette partie.

 

 La violence comme forme symbolique

 

Rappelons d’abord à ceux qui s’indignent du « réalisme » et de la complaisance avec lesquels la violence s’étale dans les couplets scandés par les rappeurs qu’ils semblent oublier deux choses.

Depuis les origines, la violence constitue l’un des ingrédients majeurs de toute littérature : L’Iliade ou La Chanson de Roland décrivent avec une précision chirurgicale les blessures infligées aux combattants, les drames de Shakespeare sont emplis de « bruit et de fureur », la violence des scènes, l’obscénité des mots n’y a rien à envier aux paroles des raps ; même l’auteur de la Genèse déploie une ironie morbide en nous racontant comment Abraham fait porter à son fils Isaac le bois de son propre holocauste.

Mais de surcroît, ceux qui dénigrent le rap pour la violence de ses textes refusent de considérer, dans ce qu’ils appellent « réalisme » ou « crudité » des paroles, le travail de la distance poétique et de la métaphore.

De nombreux couplets violents ne sont pas à prendre au sens littéral. Ce sont plutôt des "vantardises" dans lesquelles l’image du revolver est utilisée métaphoriquement pour désigner le micro. Le micro se transforme en arme à feu, la scène devient le lieu de meurtres imaginaires, et les couplets servent de balles à charge creuse. En son temps le pianiste Jelly Roll Morton n’affirmait-il pas déjà : "Nos mélodies(...) c’étaient nos armes." ? Et pour les musiciens de jazz l’instrument prend le surnom peu amène de hache (axe), car il servait à       « couper » l’autre dans ces joutes musicales qui firent florès à l’âge classique et que l’on surnomme précisément cutting contests.

Ce serait en outre une erreur de systématiquement prendre au premier degré la mise en scène apocalyptique de la violence, théâtralement distillée par les artisans du rap, sans faire la part de l’humour et de la dérision. Dans leurs descriptions outrées de la vie urbaine, ou de la désobéissance civile ; dans leurs scènes de règlements de comptes ponctués par des coups de feu fabriqués, mais plus vrais que nature, les hérauts du rap forcent délibérément le trait et manient avec une ironie mordante l’art de la caricature et de l’emphase. Leurs effets de style se plaisent à jouer sur le registre des peurs fantasmées que la société blanche a toujours entretenues à l’égard des communautés Noires - cette peur d’une planète Noire (« Fear of a Black Planet ») explicitement vilipendée par le groupe Public Enemy.

Nombre de raps, jugés d’une violence excessive, ont d’ailleurs été délibérément composés dans l’intention provocatrice et rigolarde de donner du grain à moudre aux ligues de vertu.

 

Une tradition de la violence verbale

 

Cette poétique de la violence, ostensiblement mise en scène par les rappeurs, n’est pas une invention propre à la culture hip-hop. Dès les origines, elle constitue un ingrédient significatif de l’expression afro-américaine, Robin D.G. Kelley le fait remarquer à juste titre : « Il nous faut revenir au blues, aux fables du baaadman du siècle dernier, et à l’ancestrale tradition du  « signifying », si nous voulons mettre au jour les racines de l’esthétique "violente" dans le hip-hop».

Contraints par la force des choses de maintenir sous le boisseau leurs pulsions agressives, les Noirs durent en circonscrire l’expression à des manifestations symboliques, internes à leur communauté : boasting (vantardise), toasting (mise en boîte souvent très agressive, le toast revêt la forme d’une fable ou un conte bref), signifying (façon virulente et délibérément exagérée de dire son fait à l’autre dans laquelle « le meilleur « signifier » est celui qui invente les images les plus extravagantes, les mensonges les plus énormes), et surtout l’échange rituel d’insultes des dirty dozens (les douzaines dégueulasses), constituent autant de modèles traditionnels d’adresses entre membres de la communauté Noire où prime la violence verbale.

Le rap descend en ligne directe de ces formes originelles de poésie orale placée sous le signe de l’emphase. Souvent dans le rap  : « Quand l’imagerie du crime et de la violence n’est pas utilisée métaphoriquement, les vantardises exagérées, forgées de toute pièces, d’actes criminels doivent être considérées comme une extension des pratiques du « signifying ». Des prestations comme « My Word is Bond » par le Rhyme Syndicate, ou les histoires que raconte J.D. entre les morceaux de l’album de Ice Cube « AmeriKKKa’s Most Wanted » se veulent de l’humour elles ne peuvent pas être prises au pied de la lettre. Issus de tout un ensemble de pratiques culturelles plus anciennes, ces récits virils sont essentiellement des joutes verbales où il s’agit de déterminer qui est le plus « vicelard de tous les enfoirés à la ronde ». On ne peut en aucun cas les considérer comme des descriptions littérales d’actes de violence ou d’agression mais ils renvoient à un usage ludique de la langue.»

La triviale âpreté propre à ces formes endogènes d’expression verbale est souvent surprenante aux oreilles d’un non-initié. Pour un auditeur non initié, ces jeux de langage situent les rapports de parole entre individus à un niveau inacceptable de véhémence, et suscitent un rejet spontané qui d’emblée, l’empêche d’y discerner toute éventuelle qualité esthétique. Si grossiers puissent-ils paraître, ces couplets inconvenants attestent pourtant d’un authentique génie de l’invention verbale.

Le blues a véhiculé jusqu’aux oreilles des Blancs quelques échos de ce tumulte vernaculaire, il n’était toutefois pas question pour les producteurs Blancs de laisser cette violence verbale se déployer dans toute sa vigueur. Et si dans le blues on échange parfois quelques coups de revolver, de couteau ou de rasoir, si les références à la sexualité y sont plus nettement explicites que dans la romance broadwaysienne, les formes les plus percutantes de violence verbale ont été systématiquement évincées du répertoire.

Le rap ne s’embarrasse pas de telles précautions. En faisant éclater au grand jour une rage profonde qui n’a d’autre alibi que le plaisir provoquant de s’énoncer comme telle, le rap manifeste l’un des éléments les plus vivaces d’une créativité poétique propre aux traditions orales de la communauté Noire, que les chambres d’échos de l’industrie des loisirs américaine étaient jusque là parvenues à étouffer. À sa manière donc, la culture hip-hop jette bas le masque de civilité affable que les Noirs ont jusqu’à présent été contraints de porter face à leurs oppresseurs. Par son génie de la superposition et du télescopage, que rend particulièrement prégnant une exploitation élaborée des procédés techniques de reproduction sonore, le rap reconstruit la tradition afro-américaine dans le sens d’un radicalisme de la forme et du fond qui restait inouïe. Il donne à entendre la nature profondément subversive de cette culture du son et du verbe en faisant cohabiter de manière inattendue les échantillons de ses productions musicales et littéraires puisées au fil de son histoire. Ce que l’industrie des loisirs s’était efforcé de rendre présentable, par le jeu d’une édulcoration, ce que l’histoire avait finit par noyer sous les habitudes d’écoute, le rap le restitue à sa dimension perturbatrice. Une démarche qui explique ce que cette forme d’expression recèle d’irrécupérable.

 

 

Le rap, à l'origine prônant la paix, n'est-il que le reflet de la violence qui s'exerce au quotidien dans les quartiers pauvres? Ou au contraire est-il responsable de cette violence en la cultivant et en la montrant sous un jour favorable? La stigmatisation qu'a subi l'ensemble du mouvement rap a-t-elle été déterminante dans l'élaboration des textes? C’est ce que nous verrons tout au long de notre réflexion. Le rapport qu’ont les rappeurs à la langue met-il en lumière un rapport particulier à la société ? C’est ce que nous étudierons au cours d’une analyse linguistique.

 

 

C) L’argot du rap, analyse linguistique et rapport à la société

 

 

Pour étayer cette réflexion, nous nous appuierons sur les travaux de Louis Jean Calvet, notamment sur L’Argot, P.U.F., 1994. L’enjeu de cette étape de notre réflexion sera de mettre à jour, à travers l’analyse de la langue utilisée, un rapport particulier à la société.

 

A l’origine, l’argot remplit une fonction cryptique, il implique des formes linguistiques qui masquent le sens, pour permettre la communication dans un groupe restreint. Van Gennep pousse la réflexion plus loin, il établit un rapport entre le couple langue commune/langues spéciales et le couple société générale/sociétés restreintes qui constitue le fondement d’une approche sociale des faits de langue que le structuralisme a longtemps oblitéré, considérant la langue comme un objet en soi, alors qu’il convient pour comprendre les rapports entre langue et société de partir du groupe social, de la communauté, et d’en étudier les aspects linguistiques.

L’argot agit alors comme un emblème ; étant rejeté par la norme et taxé de vulgarité, l’argot va être au contraire revendiqué par tous ceux qui rejettent cette norme et la société qu’ils perçoivent derrière elle. Si l’argot n’est plus la langue cryptique qu’il a été, il est devenu une langue refuge, la langue des exclus, des marginaux en même temps qu’une façon de marquer sa différence.

L’argot, et le verlan présent dans le rap, ne sont pas une forme séparée de la langue, ils en sont simplement une des formes ; leurs existences sont simplement le signe que la société est divisée en groupes, qui chacun marque de son sceau la langue générale. Le degré de différence qu’un argot entretient avec la langue commune est fonction du degré de spécificité du groupe qui utilise cet argot.

Il y a une double fonction pour tous les argots : l’une cryptique, l’autre sémiologique ou symbolique. La fonction sémiologique revient à représenter quelque d’autre, être pris pour quelqu’un d’autre. Françoise Gadet montre dans Le Français Populaire, P.U.F, 1992, que la langue populaire et l’argot sont de point de vue lexical difficilement distinguables. La raison est que l’argot n’est plus la langue secrète du « milieu » qu’il fut à ses origines, qu’il joue maintenant un autre rôl, indiquant un rapport à la langue, et à travers elle, à la société. La fonction emblématique prend le pas sur la fonction cryptique. Cela répond surtout à une volonté identitaire qui résume la fonction emblématique.

Van Gennep écrit dans Essai d’une théorie des langues spéciales : «  Il convient de ne pas considérer comme des choses différentes ce que nous appelons d’une part des argots et ce que nous considérons d’autre part comme des langues « sacrées ». Il n’existe aucune différence de principe entre la langue de métier et telle langue sacrée demi-civilisée : seulement le caractère spécial linguistique n’affecte pas les mêmes catégories sociales que chez nous ». La spécificité de ces langues, comme l’argot ou le verlan, est sociale avant d’être linguistique. Si les adolescents français ont réinvesti le verlan, c’est pour marquer une leur spécificité : la forme linguistique assure ici une fonction identitaire évidente.

 

Louis Jean Calvet approfondi la réflexion dans son article, L’argot comme variation diastrique, ( dans Langue Française numéro 90, Mai 1991, page 40 à 52 ) il montre que l’utilisation des formes dites argotiques est une façon de se situer par rapport au pouvoir, à travers la langue légitime qui en est un des symboles. On a donc un effacement de la façon cryptique : dans la communication, le contenu apparent passe alors au second plan, derrière le contenu latent, connoté ; le syntagme « laisse béton » dénote ce qu’il dit, et connote en même temps tout ce qu’il y a derrière le choix de parler verlan : la quête d’une identité, d’une culture interstitielle comme l’a exposé l’école de Chicago, le refus de la langue légitime.

Gaston Esnault : « nous classons populaires les mots des groupes non dangereux, voyous ceux des groupes qui tentent aux méfaits. Mais la cloison est amovible ». L’argot relève d’une prise de position sociale

Pierre Guiraud : « tout langage est signe ; comme le vêtement, ou la coiffure, comme les formules de politesse ou les rites familiaux, il nous identifie ». Lorsque ces comportements deviennent conscients et voulus, lorsque par eux l’individu affirme, voire affiche et revendique son appartenance à un groupe, ils deviennent ce qu’il est convenu d’appeler un signum de classe. Pour Pierre Guiraud, « ceci est l’essence de l’argot moderne » ( L’Argot, P.U.F., 1956, page 97 ). Pierre Bourdieu et Luc Boltanski ont eux-aussi étudié le rapport à la langue dans leur réflexion « Le Fétichisme de la langue ». Nous allons donc mettre en perspective cette réflexion, avant d’appréhender leur théorie du champ dans sa globalité. Ces outils conceptuels nous permettrons de théoriser le mouvement rap, en délivrant notre vision des préjugés pour reconstruire ensuite l’objet de notre réflexion.    

 

 

 

 

 

 

 

 

Deuxième partie : Histoire du champ rapologique dans la conception bourdieusienne.

 

 

 

 

A) Le Fétichisme de la Langue.

 

Pierre Bourdieu et Luc Boltansky, dans un article intitulé le Fétichisme de la langue, expliquent que lorsqu’on parle de langue, on se réfère tacitement à la langue officielle d’une unité politique. C’est à dire la langue qui est tenue pour la seule légitime, celle produite par des agents ayant autorité pour écrire, les écrivains, codifiée et garantie par l’autorité d’un corps de spécialistes, les grammairiens et plus généralement les professeurs, chargés d’inculquer le respect du code linguistique. Mais il est important de souligner que la langue officielle ne s’impose pas par sa seule force intrinsèque. La langue officielle a bénéficié des conditions politiques et institutionnelles ( bureaucratie, système scolaire, État centralisé ) nécessaires à son imposition et à son inculcation. Ainsi connue et reconnue, plus ou moins inégalement, par l’ensemble des sujets d’une nation, elle contribue à renforcer l’unité politique qui fonde sa domination.

Pour comprendre ce concept de “domination symbolique” de la langue officielle, on doit raisonner en terme de champ. ( voir La Logique du champ ).

Le champ “linguistique” doit être entendu comme “système des rapports de force proprement linguistiques reproduisant les rapports de force entre les groupes correspondants dans la hiérarchie sociale“. Autrement dit, la langue dominante, la langue officielle a su s’imposer face aux autres langues ( patois, dialectes, langues régionales ) parce que c’était la langue des groupes dominants dans la hiérarchie sociale.

La domination symbolique qu’exerce la langue officielle sur les autres productions linguistiques, reflète en réalité une domination politique.

L’unification politique et la constitution corrélative d’un champ linguistique dominé par la langue officielle créent entre le parler officiel et les autres une relation sans précédent. Cette “relation objective de domination symbolique” affecte réellement la valeur qui est assignée aux produits linguistiques des différents locuteurs et modifie leurs dispositions et leurs pratiques.

L’effet principal de l’unification de marché et de l’imposition d’une langue officielle comme légitime réside dans la dévaluation qu’elle fait subir aux productions linguistiques de tous ceux qui ne possèdent pas les moyens de produire les “formes” correspondantes. Confrontés aux produits qu’offrent sur le même marché les professionnels de la production de discours ( auteurs consacrés, professions de la parole ) et les membres de la classe dominante; les langues régionales et les usages populaires de la langue officielle subissent un déclassement systématique.

 

Les usages populaires ( argot, verlan ) sont convertis en jargons vulgaires et incorrects; et sont ainsi totalement dévalués parce qu’impropres aux usages officiels.

Le système d’enseignement contribue pour une part déterminante à cette opération de déclassement en rejetant les modes d’expression populaires et en inculquant la reconnaissance de la légitimité de la langue légitime.

La domination symbolique commence réellement lorsque la méconnaissance de l’arbitraire qu’implique la reconnaissance conduit les dominés à appliquer à leurs propres pratiques les critères d’évaluation dominants.

Selon Bourdieu, l’ambition des classes populaires de se conformer aux normes du discours légitime consiste à censurer les notions “vulgaire” ou imaginées telles, à introduire des locutions perçues comme nobles ( “néanmoins”, “toutefois”, n’est-ce pas” ), à traduire en langage correct les expressions censurées; mais également à adopter un débit et une diction inhabituels.

Cette “rhétorique du désespoir” confère au langage que produisent les plus démunis culturellement dans les situations officielles, ses caractéristiques les plus fondamentales; à savoir l’imprécision, la confusion, l’incohérence. Mais le fait le plus marquant de cette idée de “reconnaissance de la langue légitime sans connaissance de celle-ci” réside dans le silence auquel sont condamnés, dans toutes les situations officielles ( entretien d’embauche, passage à la télévision ), ceux qui n’ont pas accès aux moyens d’expression légitimes ou à l’institution qui contribue à produire la définition de la langue légitime, à savoir le système d’enseignement.

Bourdieu et Boltansky finissent ainsi : “Les classes populaires ne parlent pas, elles sont parlées... La dépossession  politique n’est que l’effet le plus visible de la dépossession linguistique qui n’est elle-même qu’un aspect de la dépossession culturelle propre aux classes populaires.”

Ayant mis à jour ce rapport de forces, et par conséquent cette domination symbolique de la langue”officielle”, qui est en réalité la langue de la “classe dominante”, imposée et reconnue comme légitime, sur les autres productions linguistiques dans le champ linguistique, il convient de se demander si la stigmatisation qu’a subi le parler “rap” ne correspond pas au déclassement systématique qu’ont connu régulièrement les langues régionales et les jargons populaires. Lorsque l’on parle de “musique d’analphabètes” ou encore quand on insinue que les artistes rap “ne savent pas parler”, “qu’ils ne parlent pas français”, on participe à ce processus de déclassement dont parlait Bourdieu. Parce qu’il n’est pas le produit des institutions ou auteurs consacrés de la langue officielle, le rap, dès son apparition, a subi une stigmatisation, une dévaluation visant à décrédibiliser son message et à rabaisser sa réelle valeur artistique. Le rap, et son message, sont considérés comme illégitimes dans la mesure où ils ne correspondent pas à l’exigence de critères de la langue légitime. Autrement dit parce qu’ils sont impropres aux usages officiels. Les effets de la stigmatisation, conduisant à une dévaluation du discours dans son ensemble, seront étudiés ultérieurement. Pour l’instant, il s’agit de mettre à jour la domination symbolique qui s’exerce à travers la “reconnaissance sans connaissance” de la langue dite officielle. Le rap, en tant que production linguistique illégitime remet en cause ce monopole arbitraire, cette domination symbolique de la langue légitime. Alors que le rap essayait de s’imposer comme une nouvelle production linguistique issu des classes populaires, il a été confronté à ce processus de dévaluation que connaissent tous les nouveaux entrants dans un champ déterminé. ( voir La logique du champ ).

 

De plus, pour reprendre le concept de “rhétorique du désespoir”, le rap permet de donner la parole aux plus démunis, culturellement parlant; et dans des conditions autres que les situations dites “officielles” ( entretien d’embauche, passage à la télévision, procès, entretien chez le notaire, ...). Les classes populaires “qui ne parlent pas, qui sont parlées”, pouvaient enfin s’exprimer naturellement, pouvaient enfin faire passer un message produit par elle-même. Alors que le discours des classes populaires, dans les situations officielles, est confus, voir même incohérent; le rap permet à ses auteurs d’éviter de tomber dans cette “rhétorique du désespoir”, d’éviter la confusion, d’échapper à l’imprécision. Il s’agit de faire passer un message sans contrainte extérieure, sans subir la domination symbolique qu’exerce la langue “légitime“.

A travers le rap, le discours a toutes ses chances d’être cohérent puisqu’il ne se reconnaît pas comme incompétent. Ceux qui sont privés de la “compétence légitime” peuvent enfin parler, construire leur discours avec des mots à eux. Pas de rhétorique du désespoir, pas de confusion, pas d’incohérence; le rap apparaît alors comme une nouvelle “production” dans le champ linguistique qui pourrait éventuellement troubler la suprématie de langue officielle. Un message cohérent, structuré et libéré de toutes contraintes constituerait, dans “l’arène” de la production linguistique, un “adversaire de taille”.

C’est pourquoi il est intéressant de se demander s’il n’y a pas eu une volonté de dévaluer le rap, de le décrédibiliser afin de l’affaiblir parce qu’il représentait un nouveau concurrent potentiellement dangereux. Ce nouvel entrant dans la sphère linguistique, comme n’importe quel autre nouvel entrant, a t-il subi le travail de déclassement, de dévaluation entrepris par les détenteurs de la norme? Cet exemple du rap correspond-il à ces rapports de force, dont parle Bourdieu, qui opposent plusieurs unités de production dans un même champ?

 

 

 

 

 

B) Logique du champ

 

 

 

 

 

 

Introduction Historique

 

            Le rap est issu des milieux urbains voués au silence. Ville de tous les excès, de tous les paradoxes, symbole de la débâcle du capitalisme sauvage; New York ne pouvait être que la mère nourricière des premières voix qui allaient s’élever contre cette fatalité sociale que représente le ghetto américain. A la fin des années 1970; pour échapper à la prison, le cimetière ou la drogue, les jeunes noirs de Brooklyn et du Bronx préfèrent la résistance artistique à l’action violente en faisant de la rue leur territoire d’expression. Les règlements de compte ne se font plus à l’arme blanche, mais par la danse, le graphisme ou la musique. Cette nouvelle forme d’art fraternel et spontané a pour nom le HIP-HOP et se décompose en trois disciplines : le chant, la danse et la peinture ( graphisme mural ). De ces trois modes d’expression, la musique Rap va alors apparaître comme le nouveau style de musique noire dans le sillon creusé par la Soul et le Funk. Le rap est un manifeste distillant des messages politiques sur le quotidien des ghettos urbains. En formulant l’angoisse, le désespoir ou le mal-être, il donne une voix aux proscrits; leur permettant ainsi de revendiquer, de communiquer sous la forme la plus simple et la plus accessible : un microphone, une platine et quelques disques.

 

Le succès inattendu et planétaire des premiers tubes rap (  “Rapper’s Delight” de Sugar Hill Gang, 1979 et “ The Message” de Grand Master Flash, 1982 ) fait sortir cette musique du ghetto new yorkais. En France, les jeunes des cités; bien que différentes des ghettos américains, se reconnaissent dans cette forme d’expression. D’abord imité, le rap des grands frères américains est assimilé puis digéré pour s’en affranchir et donner naissance à un rap spécifiquement français. Avec le succès, ce médium des classes défavorisées devient paradoxalement une véritable industrie génératrice de bénéfices importants pour les opportunistes du show-business.

Aujourd’hui, il existe un véritable label “ Rap français “ qui se caractérise par la richesse et la variété de ses auteurs; issus en grande majorité des différentes communautés de la population immigrée. Mais il se distingue aussi par l’originalité et la spécificité de son verbe, de sa verve, de son langage, qui puisent directement dan le vocabulaire des banlieues.

Ces chansons, mélange de “ tchatche “ hargneuse et de poésie, sont des tranches de vie urbaine, des fables contemporaines récitées sous la forme de chroniques journalistiques qui rendent compte; et mieux que quiconque, d’une réalité sociale au goût amer.

Cette prise de parole dérange. La réalité sociale, telle qu’elle est racontée, soulève des problèmes sociaux que les pouvoirs publics n’ont pas intérêt à entendre.

Deux solutions s’imposent alors : faire disparaître le rap, et ses acteurs, ou faire parler le rap d’autre chose. Les pouvoirs publics se sont bien évidemment tournés vers la deuxième solution.

 

 

Pour analyser et comprendre au mieux la scène ” rap “ en France, il s’agit ici de reprendre l’approche bourdieusienne, en termes de champ, et ainsi de comprendre quels sont les enjeux, les logiques et les luttes  qui régissent le champ” rapologique “ français.

 

Avant tout, il est nécessaire de redéfinir ce que l’on appelle un “ champ “. Le champ, selon Bourdieu, est un espace social comparable à un espace de jeu; bien que les règles ne soient pas codifiées et explicites. On a ainsi des enjeux qui sont, pour l’essentiel, le produit de la compétition entre les joueurs et on a également un investissement, commun à tous les joueurs, un intérêt spécifique qui fait que les joueurs sont “ pris au jeu “. Les joueurs ne s’opposent, et parfois violemment, que parce qu’ils ont en commun d’accorder au jeu, et aux enjeux, une reconnaissance qui échappe à la mise en question.

Tous les joueurs disposent d’atouts, c’est à dire de cartes maîtresses dont la force varie selon le jeu. Autrement dit, il y a des cartes qui sont valables, efficientes dans tous les champs mais leur valeur relative en tant qu’atouts varie selon les champs et même selon les états successifs d’un même champ. On parle aussi de capital, c’est ce qui est efficient dans un champ déterminé, à la fois en tant qu’arme et en tant qu’enjeu de lutte; et c’est ce qui permet à son détenteur d’exercer un pouvoir et ainsi d’exister dans un champ déterminé. Selon Bourdieu, c’est “ l’état des rapports de force entre les joueurs qui définit la structure du champ “, c’est à dire que la force relative d’un joueur, sa position dans l’espace de jeu et ses stratégies dépendent du volume global et de la structure de ses atouts. Mais ce n’est pas tout, les joueurs peuvent jouer pour augmenter ou conserver leur capital mais aussi pour transformer, partiellement ou totalement, les règles immanentes du jeu. Par exemple, ils peuvent travailler à changer la valeur relative de tel ou tel capital ou bien à discréditer la sous-espèce de capital sur laquelle repose la force de leurs adversaires et à valoriser l’espèce de capital dont ils sont particulièrement pourvus.

 

 

 

a) Enjeux de luttes

 

Comme pour tous les champs, le champ “ rapologique “ est témoin d’une lutte pour le contrôle du nomos, c’est à dire “le principe de vision et de division fondamental caractéristique de chaque champ“. Les luttes symboliques sur le nomos ont pour enjeu l’énonciation et l’imposition des “ bons “ principes de vision et de division. Dans le mouvement rap, cela se traduit par les thèmes abordés dans les chansons, ce qui peut ou ne peut pas être abordé, ce qui doit ou ne doit pas être abordé à travers les textes de rap. Mais cela peut-être aussi la définition de la bonne “attitude”, en terme d’image, en terme de mentalité ou même en terme de look.

Bourdieu oppose les groupes dits “ dominants “ , c’est à dire ceux qui ont le monopole arbitraire de la définition légitime de la situation, aux “ nouveaux entrants “ dans le champ, dotés d’un capital symbolique plus faible et luttant pour l’institution d’une nouvelle norme. Bourdieu explique que les détenteurs de la norme, du nomos sont enclins à des stratégies de conservation alors que les “ nouveaux entrants” sont, quant à eux, réduits à des stratégies de subversion. Le champ est le lieu de rapports de force, de luttes visant le monopole arbitraire et l‘imposition comme légitime du nomos. Et par conséquent le lieu d’un changement permanent.

On constatera d’ailleurs que la norme, en ce qui concerne le message contenu dans les différents textes de rap; mais aussi les représentations et comportements propres aux rappeurs, a clairement évolué ces dernières années. Une nouvelle définition du rap s’est imposée, de nouveaux thèmes sont apparus, les thèmes les plus récurrents sont devenus minoritaires, une nouvelle image du rappeur s’est imposée. ( voir entretien avec Hamé )

Autrement dit, le contrôle du nomos est passé d’une main à l’autre.

 

 

 

b) Politique ou récréatif.

 

Cette lutte, pour le contrôle de la définition de la situation, oppose les nouveaux entrants aux dominants; mais plus précisément les rappeurs politiquement engagés, qui voient dans le rap un moyen d’action collective, aux rappeurs plus “ récréatifs “, qui ne voient le rap que comme l’expression artistique d’un mouvement culturel ( le HIP-HOP ) non engagé.

Issu des quartiers pauvres, le rap a immédiatement orienté son discours vers un message social. Fin des années 1980, le groupe américain Public Enemy est à la fois le groupe le plus politisé ( extrême gauche et pro-black ) de la scène rap américaine et le numéro un des ventes. En France, des groupes comme Assassin, NTM, IAM sont les leaders du mouvement rap, que ce soit en terme de crédibilité ou en terme de ventes; et tiennent tous un discours ouvertement engagé. La plupart d’entre eux placent le côté social, voir même politique, au centre de leur oeuvre. En tant que groupes dominants de la scène rap, en tant que détenteurs de la norme rapologique, les thèmes abordés par ces groupes font référence dans toute la production musicale de l’époque.

Au début des années 1990, un rappeur se devait d’avoir un discours politiquement engagé, de prendre parti sur la question de la lutte des classes et surtout d’apporter un message contestataire, révolutionnaire, social. Les textes “ à l’eau de roses “ étaient minoritaires voir inexistants ( voir entretien avec Hamé ).

En revanche, un rappeur qui abordait des sujets tels que les conditions de vie des classes défavorisées, ou le statut des jeunes immigrés de la seconde génération, ou encore les violences policières dans les quartiers dits “ sensibles “ étaient majoritaires. Le rap était explicitement engagé et si un rappeur voulait être reconnu par ses pairs, il se devait de prendre position politiquement. Un discours engagé représentait la caractéristique première du couplet de rap. Ce côté “revendicatif” a d’ailleurs été souvent caricaturé par certains humoristes.

Hors cette norme a changé. Il y a eu une évolution, les valeurs ont changé, les représentations produites par la nouvelle norme ont changé. Les “ dominants ”, détenteurs de la norme sont devenus minoritaires et dominés. Le rappeur, ainsi que son discours, est devenu moins engagé. L’aspect récréatif, festif, superficiel du mouvement rap a pris le dessus. Il ne s’agit plus de politiser le message, au contraire il s’agit d’être le plus neutre possible. De ne plus prendre position. Il ne faut plus axer son message sur le caractère social, mais bel et bien sur des sujets qui rassemblent le plus grand nombre et qui, en quelque sorte, ne dérangent plus. Des textes pasteurisés, un message festif et édulcoré, la volonté de ne plus prendre parti; et cela pour mieux vendre, telles sont les valeurs qui caractérisent les artistes rap de la nouvelle norme. Certes on peut dire que la priorité a été portée sur la musicalité, sur une volonté de ne pas trop “lester” une ambiance déjà tendue dans les banlieues dites difficiles. Toujours est-il que le message n’est plus le même. Les valeurs, références et représentations passées ne sont plus au goût du jour. Les revendications sociales, les messages politiques et l’ensemble de l’élan révolutionnaire qui caractérisaient le rap à ses débuts ne sont plus. Pour être dans la nouvelle norme rapologique, il faut dorénavant avoir un message plus “léger”, moins engagé. Il est préférable d’écrire une chanson à la gloire d’une marque de voiture plutôt que de dénoncer certaines injustices sociales.

 

Quelles sont les logiques qui ont permis cette évolution? Qui sont les acteurs et les complices de cette évolution? Comment cette nouvelle norme a pu s’imposer et que sont devenus les anciens leaders et leurs textes engagés? L’argent est-il le seul facteur qui a déterminé cette nouvelle orientation des thèmes abordés?

 

 

 

c) Deux logiques opposées : une logique underground et une logique commerciale.

 

Le rap français, à ses débuts, était contestataire dans son message, original dans sa démarche et révolutionnaire d’un point de vue artistique. Banni, pour sa virulence, de la plupart des antennes radio ou télé, le rap ne reposait que sur la passion et la créativité de son public. Musique populaire s’adressant à la jeunesse des quartiers dits « sensibles », son contenu mais aussi sa forme allaient à l’encontre du « politiquement correct ». Comme nous l’avons vu, les leaders de la scène rap étaient investi d’un rôle : celui de relater les conditions de vie et les injustices sociales qui font le quotidien des jeunes des banlieues. La logique dominante était alors une logique contestataire, marginale, fermement opposée à l’ordre établi. Aucun gros média ne supportait, au sens propre comme au sens figuré, cette nouvelle tendance et personne ne croyait en la réussite de cette mode, certes violente mais certainement passagère. Le rap était une musique nouvelle, issue des « bas-fonds », engagée, totalement underground et, de fait, non-commerciale ( parce qu’elle ne vendait pas ).

Mais depuis quelques années ( 1994-1995 ), la tendance actuelle du rap a changé.

La logique qui dynamise le mouvement rap n’est plus cette logique underground et marginale qui caractérisait l’apparition de cette musique, mais bel et bien une logique commerciale, axée sur le profit et le « politiquement correct ». Le rap est devenu une source de profits inestimable et l’industrie du disque, après l’avoir boycotté, a fait du rap l’un des styles musicaux les plus lucratifs. En effet, le rap français, probablement le plus développé dans sa pratique après le rap américain, a connu un essor considérable depuis ces dernières années, modifiant ainsi le paysage musical français

La tendance actuelle dans le rap français est une logique beaucoup plus récréative, festive, dépolitisée; en vue de séduire le plus grand nombre. Bref, une logique purement commerciale.

 Alors qu’au début des années 1990, il était « dangereux » d’inviter un rappeur sur un plateau télévisé; certains rappeurs sont actuellement chroniqueurs dans des émissions hebdomadaires ( Doc Gynéco dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel « On ne peut pas plaire à tout le monde »). L’image que véhiculait le rappeur était tellement hors-système et anticonformiste qu’il était impensable de l’associer à la vente d’un quelconque produit. Or aujourd’hui, le rap est régulièrement utilisé dans les spots publicitaires. Le rap a en quelque sorte été récupéré par la société de consommation et s’est avéré être un excellent support, un excellent média, dont la principale cible était les jeunes, pour vendre un produit. Le « vilain petit canard » de l’industrie musicale s’est finalement transformé pour répondre aux besoins du système.

Par contre, le message politique a complètement disparu. Le discours engagé du rappeur est devenu minoritaire. Dorénavant, la logique underground, qui résidait dans la contestation du système et de l’ordre établi, ennuie.

Les groupes de rap politiquement engagés, qui constituaient la norme rapologique, sont désormais destitués de leur position dominante. En revanche, on voit apparaître un très grand nombre de groupes dont le discours est festif, joyeux, innocent, loin de la réalité et surtout « pas contrariant ». Le rap ne gêne plus, au contraire il fait vendre. Le rap est désormais dans une logique commerciale. Les valeurs véhiculées ne sont plus celles du début. On ne parle plus de chômage, d’analphabétisme ou d’état policier mais de soirées en « boîte de nuit », de voitures et d’armes. Il ne s’agit plus de « mettre le feu à l’Élysée » puisque « tout baigne ». ( voir paroles de rap en annexes ). Les enjeux sont également différents, il ne s’agit plus d’avoir la reconnaissance de la part du « milieu » rap, il s’agit désormais de vendre le plus de disques possibles et de faire face à la concurrence.

Comment a-t-on pu passer d’une logique à une autre? Par quels moyens les groupes minoritaires de l’époque sont-ils parvenus à imposer leur définition du rap? Pourquoi cette mutation et à qui profite-t-elle? Comment ont réagi les anciens rappeurs engagés?

 

Dans ce rapport de forces qui opposait rappeurs engagés et rappeurs non politisés, les premiers représentant l’ancien groupe dominant détenteur de la norme tandis que les seconds représentent les “nouveaux entrants”, la domination symbolique des rappeurs engagés n’a duré qu’un certain temps. Dans les années 1980 et jusqu’au début des années 1990, le rap français ne vendait pas. Cette musique underground, non conformiste, issue des banlieues oubliées de la périphérie des grandes villes ne correspond absolument pas aux critères de l’industrie musicale. Ce qui n’est pas pour déplaire à la plupart des acteurs de la scène rap puisque l’on est, à l’époque, dans une logique underground. Les quelques rappeurs qui s’essayent à mettre “un peu d’eau dans leur vin”, à aborder d’autres sujets que ceux établis par la norme, sont immédiatement rejetés du mouvement, raillés et considérés comme “faux”.

Mais pour vendre, cette musique issue du ghetto devait viser un public plus large que son ghetto d’origine. C’est pourquoi le contenu des textes de rap s’est orienté vers des thèmes moins centrés sur l’aspect social. En abordant des sujets plus “universels”, plus communs à l’ensemble des classes sociales tels que les soirées arrosées, les armes, les voitures, la drogue, les filles; le rap s’est peu à peu trouvé un public plus large et dont l’origine sociale était plus variée. En mettant de côté l’aspect “revendicatif”, les artistes rap ont pu s’ouvrir des portes qui leur étaient jusqu’alors fermées. Les maisons de disques s’aperçurent alors qu’un rap dépolitisé, un rap plus récréatif pouvait tout à fait être rentable. Avec le message, c’est aussi l’ensemble de l’image du rappeur qui a évolué. De nouveaux artistes, comme MC SOLAAR, Alliance Ethnik ou encore Ménélik, font leur apparition. On n’hésite plus à les inviter sur un plateau télévisé, puisque maintenant ce sont de vrais artistes qui savent se plier à la règle fondamentale de “l’art pour l’art“, condition sine qua non pour réaliser une promotion digne de ce nom.

Les anciens leaders de la scène rap se sont donc retrouvés de la position de “dominants” à celle de “dominés”. Alors qu’une partie des groupes ne s’est pas relevée d’un tel “coup d’état”, la majeure partie des groupes qui tenait le haut de l’affiche s’est, en quelque sorte, recyclée. Ils ont du s’adapter au changement de norme et ont ainsi modifié leur message. La rage, la rébellion, l’esprit contestataire ont laissé la place à l‘insouciance, à la légèreté, au festif.

Stomy Bugsy, chanteur du groupe Ministère AMER, appelait dans son premier album au “sacrifice du poulet” alors qu’il se présente aujourd’hui comme un “gangster d’amour”. NTM, leader incontesté de la mouvance rap, est passé de Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu à la chanson Dans ma (Mercedes) Benz. ( voir paroles de rap de NTM et l’article de Julien Guichart Rap, entre pop et dollars en annexes).

 

 

 

Que ce soit en termes de champ, de rapports de force ou de capital symbolique, l’approche bourdieusienne semble être la plus pertinente pour penser la scène rap en France. On note que les artistes rap, qui avaient le statut de « nouveaux entrants », ont lutté pour l’institution d’une nouvelle norme et ont obtenu gain de cause. La logique commerciale, comme dans beaucoup d’autres champs d’ailleurs, s’est finalement imposée et a en quelque sorte « dénaturé » le message et l’ensemble des représentations propres au rap.

Le rap entretient désormais de bons rapports avec les mass-média et s’est parfaitement intégré - ou s’est fait intégrer – dans la matrice.

 

 

 

 

 

C) Rapports ambigus entre rap et mass-médias.

 

A ses débuts, le rap fut en quelque sorte « censuré » au nom de prétextes commerciaux - ou sous l’impulsion de pressions politiques - et n’était que très rarement diffusé sur les ondes radios. Le groupe de rap « Assassins », leader de la scène rap politiquement consciente comme ils aiment se définir, critique non pas l’outil communicationnel en lui-même, mais la façon dont les dominants l’utilisent. Pour les acteurs de la scène rap, la non diffusion des morceaux rap était le fruit d’un complot médiatico-politique visant à censurer « les réalités qu’ils dénonçaient ». Cette ségrégation dont ils étaient victimes n’était pas pour leur déplaire. Au contraire, il était plutôt flatteur pour un groupe de rap de se faire censurer par les médias ; cela attestait d’une certaine « authenticité », cela prouvait qu’ils n’étaient pas récupérés par le système et qu’ils ne s’étaient pas « vendus ».

Pourtant, les mass-médias sont indispensables au développement commercial du rap. Le groupe Minister Amer déclarait d’aileurs dans le magazine Hors-Limite numéro 3 :  « La meilleure façon de faire avancer le rap, ce n’est pas de ghéttoïser le rap ».

La couverture médiatique du hip-hop montre que le rap est maintenant un marché essentiel et constitutif d’une grande partie de la jeunesse urbaine française. En fait, au gré des humeurs, de la couleur politique des éditorialistes mais aussi au gré des modes médiatiques très versatiles, le rap est tantôt traité d’une manière ultra-positive, tantôt de façon négative. Tantôt une culture, tantôt un symptôme. Le rap ne laisse indifférent ni les médias, ni l’opinion publique. Malheureusement pour la compréhension que l’on peut avoir du phénomène, on s’intéresse trop souvent à ce mouvement de manière manichéenne. Lorsque les médias parlent du rap, une dimension est privilégiée par rapport à l’autre.

 

 

 

 

 

Cette ambivalence vient du fait que le rap est une source de profit non négligeable pour les majors, le rap est devenu une cible idéale, avec son public propre. Pour les différents acteurs commerciaux, le rap doit devenir une musique commercialisable comme toutes les autres en France. Les rappeurs commerciaux alliés à certains médias préfèrent donc développer un rap ne mettant pas en avant la protestation ni la contestation. Il s’agit plutôt de faire ressortir un côté positif et créatif, comme le métissage des cultures musicales, le dynamisme de la jeunesse ou encore la joie que procure une voiture allemande. L’aspect revendicatif et agressif est ainsi gommé pour mettre en relief la facette la plus commercialisable ; à savoir les filles, les soirées, les voitures, les armes, la violence gratuite,...

Le rap est donc un marché fructueux, à travers duquel les rappeurs entretiennent un rapport ambigu avec l’argent, teinté à la fois d’idéalisation et de dénonciation. Ils veulent à la fois accéder à la notoriété, au monde de l’argent, et dénoncer un système inégalitaire. A travers le rap, les jeunes méprisés par l’organisation sociale construisent un outil d’expression et de résistance. Or, les différentes institutions politiques et économiques s’approprient une partie de ce mouvement, et l’orientent. L’esprit « underground » est alors revendiqué comme une arme absolue, mais désormais rare, contre les récupérations. En revanche, l’esprit « festif » et décontracté, sans « prise de tête », sans allusion aux problèmes politiques, est majoritairement représenté. Le rap « commercial » fait désormais partie du paysage musical français. La consécration de ce type de rap, en France, n’aurait pas été possible sans l’aide d’un partenaire qui a pris en charge la diffusion et la promotion de cette nouvelle vague.

Ce partenaire, c’est la radio Skyrock.

 

 

L'histoire : Skyrock, créée en 1986, est l'aventure d'un seul homme : Pierre Bellanger. Tout petit, il tombe dans la FM et participe à l'aventure des radios libres : Radio Paris 80, Cité 96, Cité Future. Puis il installe la sienne La Voix du Lézard qu'il transforme en Skyrock.
En 1999, Hachette Filippacchi Media s'est séparé des 80% du capital en le vendant fonds d'investissement britannique Morgan Greffell Private Equity ( filiale de Deutsche Bank )

Statut

D : réseau national

Capital

80% Morgan Greffell Private Equity
20% Pierre C. Bellanger

Régie publicitaire

Europe Régie
28, rue François 1r
75008 Paris
Tél : 01.47.23.11.01

Responsables

président directeur général : Pierre C. Bellanger
directeur des programmes : Laurent Bouneau
rédactrice en chef : Karine Duchet

Cible

15 - 35 ans

Coordonnées

37 bis, rue Greneta
75002 Paris
Tél : 01.53.40.30.20
Fax : 01.40.26.26.43
Minitel : 3615 SKYROCK

 

La station, qui revendique - comme à ses débuts en 1986 - un public jeune, délaisse les émissions de libre antenne pour un programme essentiellement musical consacré au rap.

Il y a dix ans, Skyrock poussait son premier cri sur les ondes. Depuis, la station a grandi et le ton a évolué. Pour suivre les attentes de son public, les 15-25 ans, elle a modifié aussi sa grille de programmes. La radio, qui avait fait de la libre antenne l'une de ses marques de fabrique, a abandonné, pour l'instant, ce type d'émission en direct.

Le départ de Maurice, animateur depuis deux ans de "  Maurice Skyrock 21 h "  ( Le Monde du 28 novembre ) qui écoutait, faisait parler mais surtout rabrouait les auditeurs, signe-t-il la fin d'une époque ? " Skyrock a une histoire qui s'enracine dans le mouvement des radios libres, explique Pierre Bellanger, fondateur de la radio et gérant de la société éditrice Vortex. Dans les années 80, on a vécu quelque chose de formidable, où tout était possible. Et tout a été tenté. Ne reste aujourd'hui que ce qui est vraiment nécessaire. "

Quand il lance Skyrock ( " Sky ", pour ses auditeurs ), Pierre Bellanger, fils d'un ancien directeur du Parisien, n'en est pas à son coup d'essai. Sept ans auparavant, on l'entend déjà sur Radio-Mongol, à l'université Paris-VIII ( Vincennes ). En 1981, il fonde Cité-Future, en association avec Le Monde, puis, deux ans plus tard, il lance la Voix du lézard. La station programme de la musique new-age, et touche alors les milieux branchés de la capitale.

En 1986, avec Skyrock c'est une aventure d'une autre envergure qui démarre : celle de la radio commerciale, puisque la publicité sur les ondes des radios libres a été autorisée par François Mitterrand. Autre dimension, autres rapports au public et surtout autres moyens financiers, mais pas de regrets pour le bourlingueur de la bande FM : "  La Voix du Lézard n'aurait pas pu devenir un réseau. Elle était trop " fermée ", c'était la radio de 400 000 personnes, confie Pierre Bellanger. À la différence de beaucoup d'autres radios libres, au lieu de disparaître ou de s'enfermer dans une sorte de cocon tribal malheureux et plein de ressentiment à l'égard de l'extérieur, on a évolué. Aujourd'hui, on touche 2 millions de personnes.

Forte de son héritage de radio libre Skyrock revendique, aujourd'hui encore, un ton impertinent, " mais pas de la même manière qu'au début, parce que les auditeurs changent ", précise le directeur du réseau qui regroupe aujourd'hui 91 fréquences. Pour lui, l'osmose entre le média et son public est primordiale. Et tout est question de moment opportun, de " phase " avec les auditeurs. Il cite l'exemple de " Bonsoir la planète ", émission de libre antenne qu'il avait lancée en 1992, pour expliquer que certains débats, utiles un temps aux auditeurs, " peuvent devenir ensuite un rabâchage de lieux communs ". " Il faut arrêter, avant que le public se lasse ", tranche-t-il.

Aujourd'hui, Skyrock ne fait pas de la libre antenne un axe essentiel. La musique reste plus importante que jamais. Elle " a quelque chose à dire, plus important parfois que les discours des auditeurs. Aujourd'hui, au lieu d'avoir à l'antenne des gens qui affirment le racisme, c'est dommage, on diffuse la chanson de Khaled : Aïcha. C'est plus parlant ", explique Pierre Bellanger.

Il définit sa radio comme un « diapason anticipant " des aspirations des 15-25 ans. » Son  public manifeste des goûts musicaux beaucoup plus éclectiques que celui des années 80 : «  Aujourd'hui, il n'y a plus une musique jeune qui fait l'unanimité ».

Skyrock articule donc ses programmes autour du rap : la station revendique d'ailleurs le titre de première radio rap . "Pour un teenager, la musique est un référent culturel ", et diffuser un titre nouveau avant Fun ou NRJ, ses principaux concurrents, est plus que jamais une priorité. Dans cette course à l'audience, on assiste aussi à un chassé-croisé des animateurs d'une station à l'autre. Il y a quelques années, Fun Radio avait " volé " Arthur à Sky, qui a elle même " chipé " Maurice à Ouï FM. Et l'été dernier, David Massard, alias Difool qui fit les belles heures de " Lovin'fun " avec le Doc a finalement quitté Fun Radio pour Skyrock.

Un transfert qui s'annonçait difficile, Difool n'ayant pas ménagé ses attaques contre Skyrock lorsqu'il collaborait à Fun. Pierre Bellanger répond par la négative : " Quand Difool se fichait de nous sur l'antenne de Fun, il mettait le doigt sur des travers de Skyrock, et il avait raison. Il nous a obligés à nous remettre en cause, dans les années 1994-1995. On a réagi. Et on a accru notre audience de 20%. " " La radio, et surtout la radio jeune, c'est un monde très brutal ultra-compétitif ", ajoute-t-il, avec un sourire qui prouverait que ce n'est pas pour lui déplaire.

 

Skyrock représente aujourd’hui un support inestimable pour la musique rap. C’est la première radio à avoir « investi » et à avoir cru dans les propriétés commerciales du rap. Skyrock constitue l’un des facteurs déterminants de la commercialisation du rap. En effet, c’est elle qui a permis de mettre le rap en haut de l’affiche, qui lui a permis d’avoir accès aux maisons de disque, d’être diffusé, d’être entendu par un large public et donc d’être vendu. Un grand nombre d’artistes rap doivent une grande part de leur succès, que ce soit en terme de ventes ou bien en terme de crédibilité, à cette radio. Quand les radios se sont vues imposées la loi sur les quotas ( loi quotas 19 ?? ), Skyrock fut la seule à voir dans le rap la réponse au problème posé par cette loi. Le rap français assurait les 40% de chansons françaises exigées par la loi mais aussi représentait  une musique nouvelle, pas encore exploitée par les concurrents et capable de séduire un public jeune ( 15 à 25ans ). Skyrock devient donc « premier sur le rap ». Cependant, et comme nous l’avons vu, le rap dérange. Que ce soient ses textes, son vocabulaire ou encore l’attitude de ses acteurs ; le rap n'était absolument pas dans une logique commerciale. Cette attitude « underground » est d’ailleurs en contradiction avec le désir des professionnels du rap à être reconnus. Toute l’ambiguïté du mouvement rap réside d'ailleurs dans ce paradoxe de l’artiste rap qui veut à la fois « être reconnu dans une société qui ne l’accepte pas » et « échapper au système corrompu par le fric ». Skyrock, en permettant aux rappeurs d’entrer en contact avec l’industrie du disque ( contrat, promotion, enregistrement dans les meilleurs studios ), a su aussi imposer ses conditions en ce qui concerne le contenu et la mise en forme des titres rap et est devenu un allié très puissant pour les rappeurs dits "récréatifs".

Les groupes, dont la démarche ne correspondait pas à la logique underground, ont vu en Skyrock l'opportunité d'inverser la tendance et d'imposer une nouvelle norme. Skyrock, quant à elle, avait tout intérêt à soutenir les groupes qui ne parlaient pas de politique. En effet, pour des raisons commerciales - et comme nous l'avons vu - il est préférable pour un média de soutenir un mouvement qui ne remet pas en cause le système sur lequel repose sa raison d'être et sa prospérité.

 

 

 

 

De ces intérêts spécifiques croisés est issue la nouvelle tendance dominante dans le rap. La norme rapologique n'est plus la même. Skyrock  constitue un élément déterminant dans cette lutte qui opposait rappeurs engagés et rappeurs festifs puisque c'est elle qui a permis au rap d'être reconnu dans l'industrie du disque. L'argent, en devenant un des nouveaux enjeux clefs du rap, a inversé les valeurs propres au rap. Le sens du message n'est plus le même, il s'agit désormais de vendre et de laisser de côté les anciennes représentations.

Le champ rapologique a connu sa première grande révolution. La domination symbolique qu'exerçaient les groupes engagés n'existe plus. Les groupes, qui persistent à faire passer un message politique, sont véritablement minoritaires. Par contre, les groupes qui fondent leur discours sur des sujets "récréatifs" ou "caricaturaux" sont les nouveaux détenteurs de la norme, les nouveaux groupes dominants. Domination obtenue avec la complicité de la radio Skyrock qui a permis cette redéfinition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Troisième partie : la pleine intégration d’un mouvement originellement contestataire ; Stigmate et effet de consécration

 

 

Préambule : le sens commun savant du rap

 

Nous avons vu au préalable comment le sens commun appréhendait le rap, avec le poids des préjugés et des a priori. Nous allons maintenant simplement décrire la position du sens commun savant, qui voit dans le rap un réel moyen d’action politique. Les leaders du mouvement rap prendraient donc selon le sens commun savant la place de nouveaux représentants politiques, plus adaptés à la situation et trouvant un véritable écho auprès d’une population particulière, la jeunesse des cités, qui se désintéresse ostensiblement du monde politique.

 

Le rap : un haut-parleur ?

 

Raconter la cité, le quartier, la rue. Amplifier ses peines, crier sa rage : au cœur du discours que véhicule le rap, un univers politique s’élabore, marqué par l’air du temps et la rengaine des rappeurs : « je ne suis pas un leader ».

 

 

« J’ne suis pas un leader, simplement le haut-parleur d’une génération révoltée prête à tout ébranler. »

Les mots résonnent comme un avertissement, tirés d’une chanson du premier album du groupe NTM, ces paroles pourraient servir de bannière au mouvement rap français tout entier. Elles sont pourtant le produit d’un malaise : celui de la jeunesse des banlieues, marquée par la crise économique, du vide idéologique, partagée entre l’espoir et l’impuissance.

C’est bien volontairement que NTM dédie dans son avant dernier album une chanson à la « révolution du son ». En guise de préface, le groupe parle du hip-hop comme « l’une des dernières formes de rébellion parce qu’il est la parole donnée à ceux qui jusqu’alors n’avaient pas trouvé le moyen de la prendre » et que certains ont peur d’entendre. Et les rappeurs poursuivent : « je conteste par la frime, par le carton de mes rimes », pour affirmer enfin que « le silence ne sera plus jamais, plus jamais toléré ». Les mots deviennent des armes, et le groupe Assassin ( un des leaders de la scène rap « consciente » ), qui l’évoque dans son dernier album, « kickant Babylone ( le symbole de la société moderne occidentale, lieu de la répression et des inégalités ) et sa cour à coups de balles vocales ».

La prise de parole est donc, déjà, par elle-même, un geste politique. Une sorte de première nature du rap authentique qui s’empare de la musique pour raconter la vie, l’oppression quotidienne. Le débat agite d’ailleurs le mouvement : faut-il rester hardcore, c’est-à-dire intransigeant sur la fonction revendicatrice des textes et fidèles à soi-même ou bien suivre les « imposteurs » qui dénaturent le rap et se compromettre.

La force du rap réside dans son aspect caractéristique ; la cité, la rue ne sont guère propices aux leçons de solfège ou aux achats d’instruments de musique. Elles sont en revanche riches de revendications tues, rentrées ou inhibées… Alors que le rap est né dans les inner-cities de New York et de Los Angeles, il n’est guère surprenant que des aspirations similaires aient révélé, à Saint-Denis ou dans les quartiers de Marseille, l’urgence d’une action par le verbe. Qui laisse s’exprimer les banlieues ? Il leur restait donc à prendre la parole qu’on leur refusait.

En France, trois groupes parmi d’autres ont fait le choix, jusqu’à un certain moment, de rester fidèle à l’ancienne école de la musique revendicative : NTM, Assassin et Ministère AMER, dont le premier album a bénéficié d’une publicité inattendue. Leur chanson intitulée Brigitte ( femme de flic ) s’en prend férocement à la police : « Aucune force d’Etat ne peut stopper une chienne en rut. Surtout pas quand c’est la putain de fille d’une brute. C’est-à-dire d’un flic de pute. »  « Haine anti-flic » a rétorqué le syndicat toulousain des CRS, qui a tenté en vain d’interdire la sortie du disque.

Défenseurs de l’ordre social, symboles de la pérennité de la galère des banlieues, les policiers ne sont guère épargnés. Et les bavures policières alimentent sans cesse le verbe. Plus largement, ces groupes condamnent la « Babylone » moderne : le système capitaliste et ses mécanismes qui produisent répressions et inégalités, qu’il s’agisse de la misère du tiers-monde, de la ségrégation raciale, du soutien aux dictatures, autant que du Front National, de la détresse des banlieues.

Toutefois, les solutions restent vagues, comme esquivées. « Nous sommes des artistes, des chroniqueurs de ce que nous vivons, pas des leaders », explique Kool Shen, de NTM, dans Get Busy de mars 2000. au-delà de la révolte, la musique donne « une raison de se lever le matin ».

Le débat gauche-droite ? « Banane-carotte » rétorque aussitôt Passi, de Ministère AMER. En s’autoproclamant Ministère, le groupe a choisi de dénoncer l’incapacité des hommes politiques : une façon d’affirmer que les changements viendront du peuple, de l’amertume.  La phrase du révolutionnaire antillais Frantz Fanon est inscrite sur leurs maillots : «  Accommodez-vous de moi car je n m’accommode de personne. » Quant au titre de leur album   Pourquoi tant de haine ? la référence ironique au slogan « peace and love » du début des années 70 est claire : « le capitalisme est une faillite. Nous sommes aujourd’hui les parce que du pourquoi. » ( Get Busy novembre 1999 ).

Confusément, ils sentent que les choses viendront de « grands mouvements ». « Le combat ne sera pas dans les urnes mais dans la rue » : tiré d’une chanson d’Assassin, le vieux slogan a servi d’affiche au groupe lors de la sortie du premier album, entre les deux tours des présidentielles de 1995. Kool Shen évoque de son côté le vide idéologique, la désunion dans les cités, les bandes rivales, la guerre des deux mondes. 1968 : c’est loin. « C’étaient des intellos de milieux privilégiés. A l’époque, il y avait un espoir à gauche. Nous la gauche, on l’a vu à l’œuvre ». La politique ? Il préfère parler de « l’ensemble des problèmes économiques et sociaux » et éviter les abstractions : «J’aime pas prôner l’utopie. On est des rappeurs, sans solutions, des petits culs » concède-t-il.

 

Alors, le rap serait-il le nouveau mode d’action politique trouvé par les plus démunis, qui n’ont pas les moyens de se faire entendre, pour changer un système social qui les défavorise ? C’est sans doute la position du sens commun savant. Mais nous allons démontrer maintenant que cette conception est marquée à nouveau par les a priori, ce qui conduit à une connaissance erronée de l’objet. Tout l’enjeu de notre réflexion sera de comprendre que le rap est bien éloigné de cette image de mouvement contestataire ; et qu’au contraire, il participe pleinement à la conservation d’une hiérarchie sociale établie.  

 

 

 

 

 

Nomos rapologique et « dénaturation »

 

 

 

Nous abordons maintenant l’un des thèmes centraux de notre réflexion : l’intégration du mouvement rapologique.

Comme nous l’avons vu plus haut, le rap des débuts jusqu’au milieu des années 90 était fortement marqué par un message politique, et véhiculait des thèmes subversifs et radicaux. Le groupe NTM n’en est qu’un exemple, auquel pourrait s’ajouter le collectif Secteur A, qui fut condamné pour son titre sorti en 1995 « Sacrifice de poulet », et qui a dorénavant laissé de côté les messages revendicatifs pour s’adonner à un rap plus grand public. A l’origine, les rappeurs exprimaient à leur manière leur désaccord quant à un système social dont ils rejetaient les inégalités. Même si les leaders du mouvement refusaient l’étiquette de porte-parole d’une certaine génération, il est indéniable qu’ils reprenaient toute la frustration d’un groupe social mis au banc de la société, et qui s’était aperçu d’une manière empirique que l’égalité des chances prônée par l’idéologie démocratique ne restait qu’un idéal bien éloigné de la réalité.

Cette logique a évolué par la suite ; les thèmes politiques ou subversifs que contenaient le rap ont disparu au fur et à mesure que d’autres thèmes plus inoffensifs se sont répandus dans le mouvement. Pour preuve, la récompense attribué aux Victoires de la Musique en 2000 fut attribuée au groupe 113, pour son album « Les Princes de la ville ». Cet album précisément est le cliché des clichés émis sur le rap. En effet, les thèmes abordés se limitent principalement à des stigmates violents ( par exemple, un titre intitulé « Braquage » fait le récit du cambriolage d’une banque par les chanteurs) ou à des stigmates festifs. La norme en matière de thèmes abordés dans les paroles a donc radicalement changé. On peut constater le passage de thèmes subversifs, dangereux pour l’ordre social établi, à des thèmes quasiment inoffensifs. Le rappeur « Ménélik » fut parmi les meilleurs ventes de single en 1997 avec son titre «  Tout baigne » ( voir l’annexe ) ; nul besoin de présenter cette chanson, le seul titre donne un aperçu de l’absence de revendication qui marque ce morceau. De même pour le groupe « Sens Unik » qui se plaça dans les meilleures ventes en 1996 avec son titre « Lève les bras ». Le message des rappeurs s’est donc assagi sous l’influence de nouveaux stigmates issus de la logique commerciale.

Pour comprendre la dénaturation qu’a subi le rap, il faut d’abord passer par l’analyse du stigmate, son imposition et sa reprise par le rappeur lui-même. C’est à travers l’analyse du stigmate et de son intégration par le rappeur que l’on comprendra la « dénaturation », ou pour utiliser un terme plus neutre, le changement qu’a subit le rap depuis dix ans. L’intégration du mouvement a été permise par ce changement radical d’essence.

Une fois ceci fait, le plus important sera de percevoir les enjeux politiques relatifs à une telle dénaturation du mouvement rapologique. Cette réflexion s’appuiera essentiellement sur les travaux de Pierre Bourdieu, avec lesquels nous mettrons à jour l’effet de consécration de l’ordre social auquel participe activement le rap.

Nous terminerons notre réflexion avec une mise en perspective du rap avec la logique démocratique participative, pour appréhender les bienfaits que pourrait apporter le rap à condition qu’il soit bien exploité par les pouvoirs publics.

 

 

A) Stigmatisation et reprise du stigmate

 

 

Le rappeur « Fabe »  pose lui-même la question dans son album La Rage de dire sorti en 2001 : « pourquoi est-ce qu’on croit que c’est classe / quand on marche en boitant quand on se déplace ? » . Ce rappeur, un des leaders de la scène rap engagée, saisissait donc ce paradoxe : qu’est-ce qui fait que le stigmate imposé au mouvement rap et à ses acteurs est si facilement accepté par ceux qui pourtant en souffrent ? Pourquoi ce label réducteur et dévalorisant de jeune violent et délinquant, qui ne pense qu’à « foutre la merde », est si facilement repris par les rappeurs, et même bien souvent revendiqué ? Le groupe 113, révélation française aux victoires de la Musique a d’ailleurs sorti un titre sur son dernier album intitulé « 113 Fout la merde » ( voir l’annexe ) . C’est l’exemple typique du rappeur qui reprend le stigmate réducteur qu’on lui prête.

Pour bien comprendre l’intérêt de cette partie de notre réflexion, nous reviendrons rapidement sur le stigmate lui-même, nous le décrirons tel que le sens le perçoit et tel qu’il est repris par les rappeurs.

Nous analyserons ensuite les logiques qui rendent possibles  une assimilation si facile et sans condition par les rappeurs d’un label si réducteur. Qu’est-ce qui fait qu’un processus de labellisation connaisse autant de réussite auprès du groupe social particulier que représente les rappeurs et la jeunesse qui se reconnaît en eux ?

Ce qui nous amènera à dégager les enjeux liés à l’imposition d’un stigmate d’une telle nature. Toute cette analyse reposera sur les travaux de Gérard Mauger et de Claude Fossé-Poliak, qui ont étudié le processus d’étiquetage social « loubard ». Nous montrerons que le processus qu’ils ont mis en lumière est transposable aux rappeurs et au groupe social auxquels ils renvoient. Même si le terme renvoie à un amalgame simpliste, nous désignerons par « jeunes » l’ensemble de cette jeunesse défavorisé des quartiers sensibles qu’on taxe facilement de délinquante, et qui constitue à la fois la principale source et cible du mouvement rap.

 

Pour définir un « jeune », il n’y a à priori pas d’autre solution que de s’en remettre à l’étiquetage social : sont des « jeunes » ceux qui s’auto-désignent comme tels ou, le plus souvent, ceux que classent comme tels la rumeur publique, les appareils de contrôle social ( éducateurs, policiers…), les médias ( journalistes de presse et de télévision…).Au passage, nous vous renvoyons à la revue de presse, qui met-elle aussi à jour les traits caractéristiques du stigmate. Le problème de fond, c’est que cette définition de la notion de « jeune » s’en remet à des points de vue : le nôtre, celui des intéressés, celui des médias, etc. Pour échapper à ces distinctions sources de confusion, il faudrait écarter ces points de vue subjectifs, en ébauchant une construction théorique provisoire. Si le délit de « sale gueule » peut suffire pour classer les « jeunes » comme tels, cela ne signifie pas pour autant que la dite « gueule » ne soit pas objectivement repérable ; mais la déclarer « sale », et à en induire que son porteur soit un « jeune », le qualificatif et la désignation procèdent de la subjectivité, c’est-à-dire aussi de la position objective de celui qui les énonce. On peut alors faire provisoirement abstraction de ce que les classements opérés dans la catégorie « jeune » doivent à la position des sujets classants pour tenter de repérer ce qu’ils doivent aux caractéristiques objectives des sujets classés. Nous allons donc tenter d’esquisser un inventaire des procédures de classement mises en œuvre pour classer tel ou tel comme « jeune ». Il apparaîtra alors que les attributs symboliques, les consommations distinctives les plus visibles de ceux que la rumeur sociale qualifient de « jeunes » ne se démarquent en rien de la plupart des jeunes issus des basses couches sociales. La désignation comme « jeune », c’est-à-dire aussi implicitement comme délinquant, ne relève au fond le plus souvent que d’un racisme de classe où transparaît la peur des « classes laborieuses » toujours suspectes d’être aussi « dangereuses ».

 

Le rappeur français Busta Flex a intitulé son dernier album « Sexe, violence, rap et flouze ». Ce titre résume à lui seul le stigmate imposé à la jeunesse défavorisée des banlieues et aux rappeurs, leaders du mouvement. Le label social imposée aux rappeurs par la rumeur publique est principalement centré sur la violence, toujours elle-même reliée à la délinquance. Racisme de classe, mythe populaire, ou préjugés liés à l’imaginaire populaire, toujours est-il que les grands-mères changent de trottoir quand elles aperçoivent un jeune portant des baskets et une casquette ; ou encore, les policiers se focalisent sur les mêmes critères vestimentaires comme si la casquette était la preuve d’une délinquance potentielle. Le rap est taxé de la même mauvaise « réputation », ou délit de sale gueule. Pour preuve, les concerts de rap sont de plus en plus durs à organiser, les municipalités traînent les pieds craignant les débordements d’un public que l’on juge de prime abord comme violent et dangereux.

Le sexe est aussi un thème très présent dans le rap, la figure de la « bitch » importée des USA fait recette en France, certes tout de même moins que sur la côte ouest des US. Quoi qu’il en soit, les chansons ayant pour thème les filles et les rapports que les rappeurs ont avec elles fleurissent en ce moment, pour preuve le titre « à demi nue » du groupe Saïan Supa Crew qui tournent en boucle sur la bande FM, sur toutes sortes de radios de Skyrock à Europe 2. Rappeurs et jeunes de banlieues se voient donc imposer, à travers les rapports avec le sexe opposé, une image négative, répréhensible et condamnable. Dans les lyrics de beaucoup de rappeurs, dire que la belle fille présente le même intérêt que la belle voiture revient à enfoncer une porte ouverte. La belle fille apparaît clairement comme un signe de réussite sociale, un moyen de valorisation personnel. L’image du rapport avec le sexe opposé peut aussi décrédibiliser  l’image du rappeur et du jeune de banlieue, par exemple quand les délits sexuels sont systématiquement attribués aux jeunes des banlieues défavorisées et aux rappeurs. L’étiquetage social trouve alors son médium avec les médias, on se souvient bien de reportages racoleurs relatant de sinistres faits divers, les « tournantes » qui avaient lieu dans les caves des cités. Le problème est qu’on a transformé un simple fait divers, certes condamnable et inexcusable, en un vrai mythe social : les jeunes des banlieues sont maintenant vus dans l’imaginaire collectif et social comme des délinquants sexuels. Les jeunes des banlieues n’ont pas le monopole des délits et crimes sexuels, faut-il le rappeler, les viols collectifs existent autant sinon plus dans les milieux ruraux. Mais toujours est-il que les jeunes des cités et les rappeurs sont dorénavant taxés aux yeux de l’opinion collective d’un délit potentiellement inhérent de délinquance sexuelle. Encore un moyen de décrédibiliser un certain groupe social.

L’argent constitue lui aussi un des thèmes récurrents du rap, et pleinement constitutif du stigmate qu’on colle à la jeunesse défavorisée et aux rappeurs. Il ne s’agit pas ici de nier l’existence d’une économie souterraine au sein de cette partie défavorisée de la population. Mais oublie souvent que le survêtement Lacoste et les baskets Nike que portent le jeune défavorisé constituent tout ce qu’il possède, en terme d’objets matériels. Son aspect vestimentaire, c’est tout ce qu’il a pour paraître autre chose que ce qu’il est.

L’usage de drogue est aussi un aspect caractéristique du label social imposé aux rappeurs et aux jeunes. Nous ne le contesterons pas ici, mais nous rappèlerons tout de même que la qualification « drogue » est avant tout sociale et culturelle. Dans les pays musulmans, l’alcool est prohibé alors que l’usage de cannabis est autorisé. La consommation de cannabis s’avère donc relever d’un usage contre-culturel, comme pour affirmer que les valeurs prônées par les groupes sociaux élevés ne sont pas partagées de l’autre côté du périphérique. De plus, l’usage de drogue n’est pas l’apanage des jeunes ; pourtant, les reportages télévisés se focalisent sur les trafics de cannabis dans les cités, et oublient complètement les trafics de drogues dures dans les milieux du show business, ou les trafics de produits dopants dans les milieux sportifs. L’effet produit par les reportages montrant, sous couverts de caméra cachée et de visages masqués, des jeunes s’adonnant à divers trafics, est qu’on associe dorénavant d’une manière systématique le jeune et la drogue, comme si tous les jeunes de banlieues étaient des drogués.   

 

 

 

Au terme de cette esquisse d’analyse descriptive des attributs symboliques qui sont au principe de la dénotation « jeune » et de la stigmatisation qu’elle contient, apparaît le principe unificateur des traits culturels recensés dans la nomenclature initiale : ce n’est au fond rien d’autre que ces valeurs de virilité fondées sur la force physique propres aux milieux populaires. Il s’agit de lutter pour imposer le système de classement le plus favorable à ce qu’ils ont et à ce qu’ils ont et de refuser le système de classement dominant. En d’autres termes, il s’agit d’imposer par la force leur définition de la situation en termes de rapports de forces physiques, et d’inverser le sens de la domination symbolique.

 La stigmatisation des « jeunes », inscrits dans la tradition populaire de virilité, apparaît alors d’abord comme l’effet de l’aversion qu’inspirent aux classes dominantes les manières des classes dominées, les « dominants réduisant cette force que s’attribuent les dominés ( et spécialement les jeunes ) à l’état de force brute, de passion, de pulsion, de force aveugle et imprévisible de la nature, violence sans raison du désir » ( Bourdieu, La Distinction ). Stigmatisation dont l’enjeu n’est en fait que l’imposition d’un art de vivre, c’est-à-dire « la transmutation d’une manière de vivre en manière légitime d’exister qui jette dans l’arbitraire toute autre manière de vivre ». Il s’agit donc d’une stigmatisation bourgeoise, ignorant la différence entre les pratiques qu’elle réprouve et les pratiques légalement interdites, ou plutôt visant à inclure dans le champ des pratiques légalement interdites les pratiques qu’elle réprouve, elle étend à l’ensemble des pratiques des jeunes la condamnation portée sur la délinquance et impute une présomption de délinquance à ceux coupables d’un délit de sale gueule. Mais alors pourquoi un stigmate aussi réducteur et décrédibilisant est-il repris aussi facilement et bien souvent sans conditions par les rappeurs et les jeunes banlieusards ?

Si les rappeurs et les groupes défavorisés reprennent si facilement ce stigmate de violence, c’est tout simplement parce qu’ils n’ont rien d’autre à mettre en avant pour les valoriser. La force physique est pour eux le seul moyen d’inverser la domination symbolique des classes supérieures. En effet, les jeunes défavorisée ne disposent pas des mêmes chances devant l’institution scolaire, ils s’en retrouvent exclus trop tôt et n’ont pas à leur disposition les capitaux scolaire, social et symbolique pour rivaliser avec les classes favorisées sur leur terrain privilégié. Ils exploitent donc le seul capital qu’ils ont à leur disposition, à savoir cette image de violence, pour tenter de changer et d’inverser les catégories de classement. Si le stigmate est si « volontiers » repris par les jeunes défavorisée et les rappeurs, c’est tout simplement parce qu’ils n’ont pas les capitaux symboliques nécessaires pour se forger une autre identité collective plus valorisante. Toutefois, une remarque s’impose : on s’aperçoit de manière empirique que les rappeurs s’adonnant à la tendance revendicatrice et « consciente » ont un capital scolaire nettement supérieur aux rappeurs « récréatifs ». Pour exemple, Ahmé que nous avons pu interviewer, membre du groupe La Rumeur ( ultra revendicatif et très respecté au sein du mouvement rap), a poursuivi les études jusqu’en DESS de cinéma ; ékoué toujours membre de La Rumeur a fini sa maîtrise de sciences politiques à Saint-Denis. On pourrait poursuivre la liste des exemples, pour mettre en lumière la corrélation entre  capital scolaire et capacité à repousser le stigmate dévalorisant de violence brute ; les capitaux scolaire, social et symbolique permettent de substituer le label « délinquant »  et « brutal » pour se forger une image reconnue par les autres groupes sociaux et plus valorisée, par exemple une image de poète moderne comme MC Solaar a pu le faire, ou bien une image plus politisée et réfléchie comme Akhenaton, leader d’IAM.

Car l’objectif recherché dans l’imposition de ce stigmate réducteur par les classes supérieures sur les « jeunes » relève du racisme de classe. L’effet voulu est avant tout de discriminer le message revendicatif à l’origine du rap. Le message du rap était originellement positif, comme nous le montrerons plus tard avec la Zulu Nation. Le rap tel qu’il était au début des années 90 était pour ainsi dire « d’utilité publique » pour certains groupes sociaux, car il permettait d’apporter un éclairage sur une réalité qu’on avait l’habitude d’occulter, et de donner la parole à ceux qui habituellement ne l’ont pas. Le stigmate nie le caractère réfléchi du discours rapologique, et réduit sa valeur et ce faisant sa portée. Les appels de remise en cause de l’ordre établi et pour le changement ont été taxés de n’être que des cris de jeunes excités, des appels à la violence gratuite.

En reprenant ce stigmate comme l’on fait la plupart des rappeurs, ils sont passés d’un statut de possible « redresseur de tort », de « défenseur des opprimés » à simple racaille. Comme nous l’avons vu, c’est la norme dominante en matière de rap, le nomos rapologique,  qui a changé. Le rap revendicatif ne cesse de décliner tandis que le rap récréatif prend de plus en plus d’importance. Ce rap festif est aujourd’hui nettement dominant, pour preuve encore : la meilleure vente de singles en juillet et Août 2002 revient à MC Solaar pour son titre « Inch’Allah » ( voir l’annexe ) dans lequel il chante la beauté de l’amour présent dans notre société. On peut voir ici sans beaucoup de difficultés l’effet de la logique commerciale, qui cherche avant tout le profit, donc recherche un public aussi large que possible. Tous les chercheurs qui présentent le rap comme un médium remettant en cause l’ordre social se trompent. C’était peut-être vrai il y a 10 ans, mais c’est tout l’inverse de nos jours, et ne pas s’en rendre compte reviendrait à rester aveuglé par les préjugés.

 

 

B) Le  rap et l’effet de consécration

 

Le rap n’a plus rien à voir avec ce qu’il était au début des années 90, le danger potentiel qu’il pouvait représenter aux yeux des tenants du pouvoir politique n’a plus lieu d’être. Les décideurs politiques peuvent désormais dormir tranquilles, la norme en matière de rap s’est inversé, le rap ne conteste plus la hiérarchie sociale, et il produit même l’inverse maintenant. Par exemple, le plus grand concert de rap jamais organisé en Europe aura lieu au Stade de France à la mi-Septembre, et va regrouper presque tous les plus gros vendeurs de France ; il s’intitulera « urban peace : le concert pour la paix et la solidarité urbaine ». Ce qui montre bien que les rappeurs n’ont plus du tout l’intention de remettre en cause l’ordre social établi, bien au contraire. Ce concert symbolisera un appel au calme, qui reviendra à dire à la jeunesse défavorisée : « c’est pas grave ce qui vous arrive, vous êtes les délaissés de la société mais tout va bien, il ne faut rien changer ». Cela revient à nier la vocation première du rap, qui était à l’origine un appel à la mobilisation pour faire changer les choses au moyen du seul capital à disposition, le capital physique. Nous allons poursuivre la réflexion en nous appuyant sur les travaux de Pierre Bourdieu, pour montrer comment le rap participe à la consolidation de l’ordre établi. Nous dépasserons donc les préjugés du sens commun savant qui voit dans le rap une menace pour la société.

Pour étayer notre démonstration, nous allons tout d’abord nous appuyer sur deux exemples d’effet de consécration, qui nous permettrons de mieux percevoir de mieux percevoir les effets « dissimulés » que produit le rap. Cette analyse se démarquera clairement des récentes études faites sur le rap et qui, à notre modeste avis, ne perçoivent pas l’enjeu actuel du rap : le temps où le rap pouvait être perçu comme un danger pour l’ordre social est révolu. La logique du stigmate, imposée puis repris par les rappeurs, a gommé l’aspect revendicatif du mouvement rapologique. Cette image de « fouteur de merde », de type violent, incapable d’élaborer un discours politique cohérent a été pleinement intégrée par la majorité du mouvement rap ;ceci n’était pas vrai il y a 10 ans, mais le rap a perdu sa vocation qui le poussait à remettre en cause un système inégalitaire. Il apparaît même aujourd’hui l’effet inverse, que nous démontrerons après les due exemples suivants.

 

    Boudieu, Genèse et structure du champ religieux :« Du fait que les systèmes symboliques tiennent leur structure, comme on le voit à l’évidence dans le cas de la religion, de l’application systématique d’un seul et même principe de division et qu’ils ne peuvent organiser le monde naturel et social qu’en y découpant des classes antagonistes, du fait en un mot qu’ils engendrent le sens et le consensus sur le sens par la logique de l’inclusion et de l’exclusion, ils sont prédisposés par leur structure-même à servir simultanément des fonctions d’inclusion et d’exclusion, de sociation et de dissociation, d’intégration et de distinction : ces « fonctions sociales » tendent toujours davantage à se transformer en fonctions politiques, à mesure que les divisions qu’opère l’idéologie religieuse viennent recouvrir les divisions sociales en groupes ou classes concurrentes ou antagonistes. 

Il ne s’agit pas ici de faire une analyse des textes de Bourdieu. Mais nous allons montrer en quoi le rap, et le champ qu’il constitue, représentent bien un système symbolique, c’est-à-dire un système produisant une division symbolique du monde. Le champ rapologique impose, du fait de sa structure, une division du monde naturel, élaborant ainsi des processus d’inclusion et d’exclusion. Il apparaît clairement dans les lyrics que parmi les rappeurs, il y a les « authentik » et les « fake », c’est-à-dire les vrais et les bidons. Cette logique différentielle semble d’ailleurs s’établir en fonction du capital social, de la catégorie sociale d’origine : un rappeur originaire de Vitry aura d’emblée plus de capital symbolique propre au rap qu’un rappeur originaire de Paris 16. Le capital réputationnel est directement lié à l’origine sociale. Une sélection a lieu dès l’entrée dans le champ, les rappeurs provenant de classes sociales aisées sont rares dans le champ rapologique, et leur présence n’est possible que s’ils ont pleinement intégré les valeurs, les habitus, et les schèmes de perception des classes les plus défavorisés. Pour exemple, le groupe Triptik fait partie des rares exceptions de rappeurs issus de milieux aisés et ayant réussi à percer dans le rap.

Une autre logique d’exclusion se dégage des textes des rappeurs : cette logique d’inclusion et d’exclusion délimite un monde intérieur et un autre monde extérieur, qui ne semblent pas obéir aux même règles, notamment juridiques. Autrement dit, le rap crée un monde qui lui est propre, celui des défavorisés, celui de la jeunesse des banlieues ; ce monde est ensuite opposé à celui des en dehors, des classes aisées qui ne connaissent pas les difficultés que représente la vie dans une cité. On a donc une opposition radicale entre le monde symbolique des rappeurs et le monde extérieur, celui en quelque sorte des « cols blancs », les rappeurs représenteraient ainsi les « cols bleus ». Il convient tout de même de préciser que cette logique d’inclusion/exclusion est clairement présente dans les raps qui conservent une certaine part d’authenticité, et s’estompent dans les raps les plus commerciaux, sous l’effet évident de la logique  commerciale.

Bourdieu, Genèse et Structure du champ religieux :

« La religion exerce un effet de consécration :

1)     en convertissant en limites de droit les limites et les barrières économiques et politiques de fait et en particulier, en contribuant à la manipulation symbolique des aspirations qui tend à assurer l’ajustement des espérances vécues aux chances objectives.

2)     En inculquant un système de pratiques et de représentations consacrées dont la structure reproduit sous une forme transfigurée, donc méconnaissables, la structure des rapports économiques et sociaux en vigueur dans une formation sociale déterminée et ne peut produire l’objectivité qu’elle produit ( en tant que structure structurante ) qu’en produisant la méconnaissance des limites de la connaissance qu’elle rend possible » 

 

Il est incontestable que le rap participe à l’inculcation des limites sociales des aspirations personnelles. C’est la logique d’inclusion/exclusion qui permet de limiter les espérances des jeunes défavorisés, faisant comprendre que les métiers de médecin ou avocat sont réservés aux « individus extérieurs », aux classes supérieures. Le rap contribue à la manipulation symbolique des aspirations en répétant sans cesse que la société est inégalitaire, que les chances au départ ne  sont pas les mêmes pour tous. Une illustration frappante est possible avec les paroles d’IAM, et son titre ( voir annexe ) « Nés sous la même étoile » : « pourquoi fortune et infortune / pourquoi suis-je né les poches vides et les siennes pleines de tunes/ pourquoi ai-je vu mon père en cyclo partir travailler juste avant le sien en trois pièces gris et BMW / la monnaie est une belle femme qui n’épouse pas les pauvres / sinon pourquoi suis-je là tout seul marié sans dote / pourquoi pour lui c’est l’équitation, pour moi les bastons / pour lui la coke, pour moi les flics en faction / je dois me débrouiller pour manger certains soirs / pourquoi pour lui se gave de saumon sur lit de caviar / certains naissent dans les choux d’autres dans la merde / pourquoi ça pue autour de moi, quoi pourquoi tu m’cherches / pourquoi chez lui c’est des noëls ensoleillés / pourquoi chez moi le rêve est évincé par une réalité glacée / et lui a droit à des études poussées / pourquoi j’ai pas assez d’argent pour acheter leurs livres et leurs cahiers / pourquoi j’ai dû stopper les cours / pourquoi lui n’avait pas de frères à nourrir / pourquoi j’ai dealé chaque jour / pourquoi quand moi je plonge, lui prépare sa thèse / pourquoi les cages d’acier, les cages dorés agissent à leur aise / son astre brillait plus que le mien sous la grande toile / pourquoi ne suis-je pas né sous la même étoile ?

Refrain : la vie est belle / le destin s’en écarte / personne ne joue avec les mêmes cartes / le berceau lève le voile, multiples sont les routes qu’il dévoile / tant pis, on n’est pas nés sous la même étoile »

La première remarque sur ces paroles est qu’elles sont tirées d’un album datant de 1994, ce qui conforte donc notre réflexion sur l’évolution du nomos rapologique. De plus, cet exemple de parole est typique du rap, et met clairement en lumière la manipulation symbolique des aspirations à laquelle participe inconsciemment le rap. Les textes définissent des places propres à chacun, en jouant sur les logiques d’inclusion/exclusion. L’effet produit sera l’intériorisation des limites des espérances, renforcée par le fait que les paroles qu’expriment le mouvement rap ne contiennent plus, ou de moins en moins, des appels au changement. Les places socialement attribuées paraissent donc figées. C’est pourquoi on peut dire que le rap actuel participe à l’effet de consécration de l’ordre établi, en participant à l’intériorisation des limites de l’espérance et en l’ajustant aux réelles chances sociales. Cette manipulation symbolique inconsciente est renforcée par le fait que le rap est de moins en moins revendicatif. Le rap agit donc comme un médium à la fois structuré et structurant. Structuré car il est conditionné par des logiques sociale ( l’origine sociale des rappeurs ), économique ( qui édulcore son message ) . Structurant car il dispose d’un grand potentiel d’écoute parmi les jeunes, qui boivent les paroles des rappeurs et leur donnent autant d’importance que des paroles divines. Les paroles des raps structurent donc la vision qu’une grande partie de la jeunesse porte sur le monde social. C’est un des facteurs qui fait que le rap contribue à la perpétuation et à la reproduction de l’ordre social en contribuant à le consacrer. La structure des systèmes de représentation véhiculés par le rap actuel contribue clairement à la consécration de l’ordre social établi.

 

On peut s’appuyer sur un deuxième exemple toujours tiré de Bourdieu, dans Le couturier et sa griffe : contribution à l’analyse de la magie sociale :

 « La haute couture fournit à la classe dominante les marques symboliques de la « classe », à travers la célébration de sa propre distinction. Par-là, elle est partie intégrante de l’appareil chargé de l’organisation de ce culte et de la production des instruments nécessaires à sa célébration. Les producteurs d’emblème de la « classe », parasites dominés des dominants qui, comme les prêtres, ne participent que par procuration à l’exploitation des dominés, fournissent aux fractions dominantes les attributs de la légitimité contre une part de la rente proportionnée à leur docilité ».

Il en va de même pour le rap, qui fournit à la classe dominée cette fois-ci les marques symboliques de la « classe ». Les goûts musicaux permettent d’affirmer sa classe, d’être infailliblement classé aussi. Sauf que, si la haute couture fournissait à la classe dominante les marques symboliques de sa supériorité sociale, le rap fournit à la classe dominée cette fois-ci les marques distinctives de sa différence sociale, à travers les particularismes vestimentaires, linguistiques, comportementaux qu’il véhicule. A travers ces particularismes, le rap à la célébration de la distinction sociale des jeunes de banlieue. Les « producteurs d’emblème de la classe » que sont les rappeurs touchent eux-aussi une rente proportionnée à leur soumission ; pour tirer les avantages financiers que représentent les passages sur des radios nationales, sur des télévisions, il faut nécessairement présenter un rap grand public, épuré de tout message revendicatif explicite. Les plus gros vendeurs de disques en rap français s’adonnent tous au rap festif ; le revenu qu’ils en tirent peut donc être considéré comme une rente proportionnée à leur soumission, la Sacem agirait comme un tranquillisant. ( voir l’entretien d’Hamé de la Rumeur ). Les appels à la lutte étant moins vendeurs que les appels à la fête, qui touchent un plus grand public, les rappeurs participent donc à la consécration d’un ordre établi, puisque au lieu de faire ouvrir les yeux à une catégorie sociale sur sa condition, ils participent à l’endormissement des consciences. Le rap actuel dominant est donc à l’opposé de ce qu’il fut, à l’opposé de sa vocation.

 

Le couturier et sa griffe : « comme tout appareil de production d’instruments de distinction, c’est-à-dire plus exactement, d’objets pouvant remplir, outre leur fonction technique, une fonction sociale d’expression et de légitimation des différences sociales, le champ de la haute couture est partie intégrante d’un champ de production plus large. La distinction ou, mieux, la « classe », manifestation légitime, c’est-à-dire transfigurée  et méconnue comme telle, de la classe sociale, n’existe que par la prétention, reconnaissance de la distinction qui s’affirme dans l’effort même pour se l’approprier ».

     Le rap joue un grand rôle dans la légitimation sociale des différences ; peut-être pas dans la légitimation des différences mais au moins clairement dans leur intériorisation, comme nous l’avons vu plus haut. L’absence d’appels à la révolte, cette absence lui permettant de tirer une rente financière de l’exploitation du rap, fait que cette intériorisation des différences n’est pas discutée, est acceptée pleinement. C’est pourquoi le champ du rap est lui aussi partie intégrante d’un champ de production plus large ; champ économique d’abord, dont nous avons déjà montré les influences ; champ idéologique ensuite, sous des aspects plus pernicieux. Car le rap est bien le vecteur d’une idéologie, le rap actuellement dominant étant soumis à l’idéologie dominante. On peut voir dans le rap une apologie de l’idéologie capitaliste, une brève analyse de textes va nous le montrer. Le thème des belles « sapes », des belles voitures, de l’argent tout simplement, revient d’une manière récurrente dans le rap. Cette récurrence agit comme la consolidation de l’ordre capitaliste, puisque le rap propage les valeurs capitalistes dans les esprits des jeunes défavorisés, c’est-à-dire précisément la population la plus enclin naturellement à rejeter ce système qui ne lui accorde qu’une place inférieure. La rengaine de la belle voiture, de la marque Lacoste, place le système capitaliste non pas sur un pied d’estalle, mais en consacre tout de même les valeurs. Même si les moyens mis en avant pour se procurer les attributs de la réussite sociale dans l’ordre capitaliste ne sont pas toujours légaux, surtout chez les rappeurs jugés hardcore aujourd’hui et qui disposent d’une faible audience auprès du grand public, les valeurs capitalistes sont sanctifiées dans les lyrics des rappeurs collant au nomos rapologique actuel.

 

Le couturier et sa griffe : « l’imposition de la légitimité est la forme achevée de la violence symbolique, violence douce qui ne peut s’exercer qu’avec la complicité de ses victimes et qui peut donner de ce fait à l’imposition arbitraire de besoins arbitraires les apparences d’une action libératrice. Toutes les actions qui tendent à généraliser la connaissance et la reconnaissance de l’art de vivre dominant ( ou à le légitimer par le seul fait de le diffuser ), bref, à transformer l’ethos de la classe dominante en une éthique universelle, tendent, par là-même, à produire la prétention comme besoin qui préexiste aux moyens ( économiques et culturels ) de se satisfaire adéquatement. (…). On voit la contribution que des activités aussi étrangères à la politique dans sa définition restreinte que celle des couturiers apportent au maintien de l’ordre symbolique. »

Cette citation de Bourdieu concernant l’analyse de la haute couture nous paraît transposable quasiment mot à mot pour le rap. En effet, la diffusion de l’art de vivre dominant est très présente dans les textes de rap, comme nous l’avons expliqué plus haut et comme vous pourrez en trouver la preuve dans les textes présentés en annexe. Le rap impose lui aussi une violence symbolique, en diffusant et légitimant un art de vivre dominant et le faisant d’une manière insidieuse, inconsciente pour les auditeurs.

 

L’effet de consécration est dû aussi à un aspect particulier des textes : la « fierté du hall ». En effet, les lyrics des rappeurs ( pour exemple, voir les lyrics de Lunatic dans les annexes ) sont marqués par une grande fierté du hall, un grand attachement au quartier ; les rappeurs diffusent un message qui prône le repli sur le quartier, un rejet du monde extérieur. Puisque les rappeurs et les jeunes de cité sont rejetés par le monde extérieur, ils s’en accommodent en rejetant à leur tour le monde extérieur. Le hall d’immeuble devient donc « leur » endroit propre, dont ils sont fiers et qu’ils déclarent apprécier par dépit sans doute. L’effet produit pourrait se résumer à un constat d’inertie, à une absence de remise en cause de leur situation sociale. Ce repli sur le hall évite toute remise en cause de l’ordre social établi, et participe encore à cet effet de consécration d’une société qui laisse de côté injustement une partie de la jeunesse sans qu’elle n’en ait pleinement conscience. Ou plutôt sans qu’elle n’ait en vue des perspectives de changement, ou des possibilités d’action allant dans ce sens. 

  

 

 

 

Le besoin se fait peut-être sentir de résumer notre idée et sa logique afin de gagner en clarté et en compréhension : la logique du stigmate et l’effet de consécration sont intimement liés. La reprise du stigmate a changé radicalement la « nature » du rap, imposant aux rappeurs une image festive et vide de toute revendication ou de capacité à en élaborer une cohérente. C’est ce stigmate que nous avons détaillé plus haut qui a paradoxalement permis l’intégration de ce mouvement originellement contestataire, puisque dorénavant le rap ne constituait plus une menace pour la société « bien pensante ». Le vide revendicatif découlant du nouveau stigmate a participé à l’effet de consécration, comme nous venons de le détailler. L’utilisation politique de mouvement rap nous semble réducteur, se contentant de parer au plus pressé ; c’est bien dommage, car le rap pourrait servir de renouveau de la démocratie participative et jouerait ainsi un rôle important dans la politique de la ville.      

 

 

 

 

 

C) Culture hip-hop et Politique de la ville

 

Des exactions des « bandes de zoulous » de l’été 1990 jusqu’aux révoltes des enfants d’anciens harkis durant l’été 1991, le début des années 90 aura été marqué par l’émergence de la violence collective sous diverses formes. Cette violence exprime clairement le désarroi profond d’une partie de la jeunesse et la dégradation des conditions d’existence dans les cités.

Au même moment, l’opinion publique découvre, surtout par le rap, l’émergence d’une nouvelle culture « jeune » : le hip-hop, issu du ghetto. Son principal fondement, on l’ignore souvent et nous exposerons tout son intérêt ici, offre une alternative à la violence urbaine.

Pour améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers défavorisés «  la réussite de la politique de la ville implique nécessairement la participation des habitants ». Mission difficile en ce qui concerne les jeunes, car leur participation sur un  mode traditionnel paraît aujourd’hui dépassée et illusoire. Contestataire à sa façon, le mouvement hip-hop offre un espoir, une ouverture.

 

 

L’enchaînement de la violence

 

Derrière le phénomène de la « réapparition des bandes », une violence très agressive sème la mort entre clans des différentes cités. Ces bandes se  constituent autour d’un fort sentiment d’appartenance à la cité ou à la communauté ethnique, qui ressemble fort à du racisme mais s’apparente plus précisément à ce qu’on appelle aux États-Unis la « black on black violence » : dans les ghettos, le dépassement d’un certain taux de pauvreté génère la violence entre pauvres ( aux USA, 90 % des morts noirs sont victimes d’autres Noirs, confere l’article de Paul Moreira, « La mal-vie des jeunes dans des villes en crise » dans le Monde Diplomatique de décembre 1990 ).

Les évènements de Vaulx-en-Velin sont venus confirmer cette avancée dans le phénomène de « ghettoïsation ». Pour la majorité des habitants des Z.U.P de la troisième génération d’immigration, les modes d’organisation collective traditionnelle, associative, militante, ne représentent plus rien. La révolte incendiaire devient alors la seule réponse possible à l’injustice. Les Français ont donc « découvert » leurs banlieues, leurs cités et leurs grands ensembles, ce qui évite de parler de ghettos. Homogène, replié sur elle-même, stigmatisée, cette population se voit pourtant conformée à la définition officielle du ghetto : « lieu où une communauté vit séparée du reste de la population ; situation de ségrégation ».Les urbanistes qui parlent de désenclavement ne s’y trompent pas. L’enclave « … n’a sur la voie publique aucune issue ou qu’une issue insuffisante », utilisée par de rares locataires ayant trouvé les moyens matériels de s’enfuir, et jamais empruntée par ceux de l’extérieur.

Les jeunes s’attachent à ces lieux où ils ont grandi, noué des amitiés, contracté des habitudes, d’autant plus qu’ils n’ont souvent rien connu d’autre que cet univers restreint. Conscients de l’état délabré et du statut dévalorisé de leur cité, ils entretiennent avec elle des liens ambivalents, à la fois d’affection et de rejet, de désir et de désespoir.

Nombre d’entre eux éprouvent les mêmes sentiments, les mêmes conflits vis-à-vis de l’extérieur qui les rejette et qu’ils rejettent, en même temps qu’ils n’ont cesse de s’approprier, de toutes les façons possibles, les signes de l’autre monde, les signes valorisants de la bourgeoisie, à défaut de pouvoir en épouser les valeurs. Apparaît alors ce qu’on appelait à l’époque la « chevignonite », c’est-à-dire le port ostentatoire de la marque Chevignon, que l’on pourrait de nos jours transposer avec la marque Lacoste, provoquée par un excès d’images déformant la réalité et qui se traduit chez le sujet par une confusion entre l’être et l’avoir : en être ou ne pas en être, en avoir ou pas : le blouson ferait le tri.

L’exclusion, qui résiste fort bien à ces vaines tentatives d’exorcisme, engendre violence, racket, insécurité dans les établissements scolaires ainsi que les débordements dans les manifestations lycéennes. L’école, comme les boutiques de luxe ou les supermarchés, subissent de plein fouet les conséquences de ce conflit passionnel résumé dans le troisième terme de cette trilogie : exclusion/frustration/destruction.

La médiatisation excessive des modèles de consommation et de réussite sociale provoque d’autant plus la frustration que s’est accrue pour une partie de la jeunesse l’impossibilité d’y accéder un jour. Dans l’environnement défait des cités, le travail en général dévalorisant et mal rémunéré, sert davantage de repoussoir que de référence dominante. Les aides et l’assistance sont couramment utilisées comme mode de survie. Déjà le chômage du père apparaît inaccessible pour beaucoup d’adolescents futurs clients du RMI. Dans ces conditions, la magouille, le système D, le vol ou le deal, nettement plus rémunérateurs, tentent de plus en plus de jeunes. Pour nombre de jeunes, cette petite délinquance s’est banalisée. Très souvent les adultes ont également « fait les courses » lors des attaques de supermarchés. Le vol perçu comme un mode de redistribution primitive en arrive à être revendiqué, comme on a pu le voir à la télévision ( interview réalisée par Christine Ockrent juste après les pillages survenus lors des manifestations lycéennes ). Adil Jazouli argumente ainsi à juste titre le retour de « comportements de classes dangereuses », et « l’émergence douloureuse d’un nouveau prolétariat urbain, multiracial, en mal de reconnaissance et de moyens d’accès aux rapports sociaux ».

Subissant plus fréquemment les contrôles de police, ces jeunes perçoivent le fonctionnement à deux vitesses de la police et de la justice. Dans ces conditions, l’incident, grave ou mineur, conduit inévitablement à l’affrontement avec les forces de police, renforçant cette notion de « dangerosité ».

Médiatisés à l’extrême ( le Nouvel Observateur titrait fin juin 1991 : «  Banlieues, avant l’incendie… » ), les émeutes ne sont que la manifestation collective et spontanée d’une violence individualisée plus silencieuse et quotidienne mais plus inquiétante, et ce d’autant plus si on considère comme la réponse logique à une violence tout aussi symbolique que concrète : l’exclusion sociale, plus dévastatrice et pernicieuse.

Dans ce contexte, le rap pourrait de second souffle pour l’action sociale. C’est pour tenter d’enrayer ou de limiter ce processus que les nouvelles politiques d’action sociale ont été mises en place au début des années 80. Elles ont amené certains résultats surtout dans la première moitié de la décennie. Néanmoins, des résistances nombreuses, politiques, corporatistes, ont eu raison de leur caractère novateur. Leur institutionnalisation sur un mode bureaucratique a freiné toute adaptation rapide à l’évolution des urgences à traiter. La réhabilitation du bâti, condition nécessaire, n’est pas suffisante au développement social. Le travail inter-institutionnel et la participation des habitants ont davantage fonctionné dans le discours que dans la pratique, ainsi condamné à des réponses partielles ou inadaptées.

La dégradation des conditions d’existence ou de survie dans ces quartiers, conjuguée à l’essoufflement des politiques publiques a conduit aujourd’hui à une situation alarmante. Celle-ci s’accompagne d’une crise de crédibilité envers le politique, affectant aussi bien les jeunes et moins jeunes des cités que nombre d’acteurs sociaux.

Le feu qui couve étant difficilement perceptible, seuls les incendies qui se voient de loin ont permis à l’opinion publique et à l’État de prendre conscience de l’ampleur du « malaise » de cette partie de la jeunesse. Annoncée à Bron, la réorganisation de la politique de développement social urbain apporte des moyens considérables. Le principe de l’autorité unique devrait favoriser l’unité et la globalité de l’action. Bien que l’on manque de données sur les moyens pour y arriver, la recherche de la participation des habitants, autrement que par le truchement des associations devrait être désormais intensifiée.

Dotée de nouvelles ressources, à la recherche d’un second souffle, la politique de la ville semble prête à innover pour trouver un nouvel élan. Pour mettre en œuvre cette politique sur le terrain, des professionnels de tous horizons sont donc mandatés et disposent de moyens pour travailler ensemble à la recherche de la participation des habitants et tout particulièrement des jeunes qui posent le plus de problèmes.

 

 

Hip-hop : une alternative à la violence

 

Parallèlement, on assiste à l’émergence d’une nouvelle culture jeune : le « hip-hop ». Née aux États-Unis vers 1967, cette culture s’est propagée en grande partie grâce au mouvement « zulu » crée par le musicien Afrika Bambaataa. Vers la fin des années 70 celui-ci fait partie d’une bande appelée Black Spades dans les quartiers pauvres ( Bronx, Brooklyn ). Il devient disc-jokey, chanteur, et fréquente d’autres musiciens et plasticiens du même milieu social en même temps qu’il est lié aux Black Panthers. Révolté par la violence entre les bandes, le racisme, et les ravages de la drogue, qui font des morts parmi ses proches, il décide avec ses amis de fonder la « Zulu-Nation ». Ce nom lui est inspiré par des films sur les tribus d’Afrique du Sud qui firent la paix entre elles afin de s’unir pour lutter contre les colonisateurs blancs au XIX° siècle.

En créant cette Zulu-Nation, le but est de canaliser l’énergie et l’agressivité des jeunes des quartiers pauvres afin que cesse la violence entre les bandes, l’usage de la drogue, et le racisme entre jeunes de différentes communautés. Son mot d’ordre : transformer l’énergie négative des bagarres en énergie positive et constructive au travers de la nouvelle culture : le hip-hop. La notion de défi, très présente, joue un rôle important dans cette « transformation des énergies », dans cette alternative à la violence. Le défi, au-delà du dépassement de soi, de la compétition et du goût du risque permet une confrontation artistique. Les exhibitions de danse ont valeur démonstrative et dissuasive, car en comparant les performances, elles évitent l’affrontement direct ; c’est la qualité de la prestation jugée par le public qui détermine les meilleurs, les gagnants. Il en va de même pour le rap, ou le graffiti.

Les Zulus ayant développé ces différents modes d’expression artistiques, le mouvement a très vite essaimé dans le monde ( Europe, Japon, Australie ).

Les valeurs propagées consistaient à respecter les règles de vie édictées par Afrikaa Bambaataa et ses proches : paix, amour et unité ( l'alliance entre les races ). Le zulu n'a pas le droit de fumer, de boire, et de gribouiller sauvagement des graffitis. Il doit boycotter les marques qui font du commerce avec l’Afrique du Sud. Tout comme aux États-Unis où le mouvement « Stop the violence » a mis à contribution les plus grands rappeurs pour sortir un disque « Self -destruction », ils proposent aux jeunes d'adopter un rythme de vie qui les aide à s’en sortir. Il faut se développer une santé physique ( par le sport et la danse ) et mentale ( en allant à l’école) pour se protéger des agressions et pièges de la vie. Il faut avoir un esprit positif.

L'objectif est d'enrayer l'autodestruction des jeunes en luttant contre la violence, la drogue et le racisme, afin de s'unir pour obtenir pacifiquement ce que la société leur a refusé jusqu'à présent : une reconnaissance. Au début des années 80, une association de zulus éditait un bulletin d'information tiré à trois mille exemplaires pour ses membres. Quel que soit leur nombre, toujours est-il qu'il existe maintenant une population d'enfants, de jeunes ados, filles et garçons, qui est née et a grandi avec ­la culture zulu.

 

 

 

Une médiatisation réductrice

 

La culture zulu, comme toute culture, connaît ses bénéficiaires et son lot de laissés-pour-compte. Pour ces derniers, d'origine immigrée pour une grande part, habitant les grandes cités de la banlieue, en échec sco­laire, sans perspectives, en manque de structure fami­liale, la bande ou le groupe viennent remplacer la famille, avec des pratiques communes ( y compris délin­quantes ) en réaction à ces situations douloureuses. vic­times eux aussi de l'exclusion et du racisme, sensibles aux modes d'expression hip-hop, ils n'en ont pas inté­gré les valeurs et les pratiques culturelles.

Ils écoutent la même musique, ils parlent avec les mêmes mots, ils s’habillent de la même façon, ils taguent parfois leur signature, bref ils n’ont épousé cette culture zulu que dans ce qu’elle a de superficiel : ses signes, et, en décalage avec ses contenus, ils en déforment son image. Ces apparences et attirances communes cachent des divergences de fond : l’égalité, la solidarité, le désir de s’en sortir, la créativité ont fait place à de très forts sentiments d’appartenance à une communauté ( assimilables au racisme ) qui se traduisent par des conflits entre cités, entre bandes, entre groupes ethniques différents avec pour toile de fond la délinquance. Fortement influencés par les fictions amé­ricaines sur les gangs, ils se revendiquent davantage de leurs bandes que de l'appellation « zoulou ».

Les médias ont appréhendé le phénomène zoulou à partir de la délinquance, à l'inverse des objectifs zulu, et l'ont présenté la plupart du temps sous cette unique facette au grand public. Nombreux sont les articles qui illustrent cette approche univoque. Le dernier en date résume bien l'esprit des précédents en montrant comment se répand la confusion. Dans le Monde du 11-12 août 1991, un article non signé titre: « Trois poli­ciers blessés par des "zoulous" à Noisy-le-Grand », on peut lire: « ... Une trentaine de "zoulous" (mouvement né aux États-Unis pour lutter contre la délinquance et la drogue chez les jeunes Noirs mais qui a donné naissance à des bandes violentes en France), pour la plupart d'ori­gine africaine, armés de barres de fer et de battes de base-ball... »

Cet amalgame revient à nier l'existence de cette culture zulu dans ce qu'elle a de spécifique et de positif en la réduisant à un « type » de délinquance. Ce qui constitue une grave erreur. Erreur qui profite à tous ceux qui ont intérêt à entretenir un flou dans le genre délinquance = Zoulous = jeunes, Noirs ou Arabes. Ce flou alimente toutes les thèses racistes et sécuritaires dans une période où le débat sur l'intégration des immigrés est toujours d'actualité, comme en atteste la vague de populisme qui a envahi le discours politique ces temps derniers.

En réaction à cette stigmatisation, les jeunes, qui, dans un premier temps se démarquaient en orthogra­phiant « zulu », ont désormais fui toute dénomination. Si une hiérarchie, une structure, jugées trop rigides, ont en grande partie eu raison de la Zulu-Nation qui ne représente plus grand chose aujourd’hui, ils n’en sont que plus nombreux à avoir intégré les valeurs, les fondements de la culture hip-hop, et à les faire vivre au sein d’un mouvement moins structuré mais néanmoins efficace.

Dans les ghettos comme ailleurs, il n'y a pas les bons et les mauvais. Parler au singulier serait réducteur. Entre le pire et le meil­leur toute une gamme de subtilités singula­rise chaque individu. Cependant, selon les aspects considérés, des variables mettent à jour des tendances autour desquelles oscillent de nombreux habitants des banlieues défavorisées. Certains, parmi les plus démunis, recherchent une identité ou une in­sertion sur un mode illusoire tel que le proposent les modèles de consommation: l'habit faisant le moine, la casquette ferait le zoulou. D'autres, minoritaires mais nombreux, sur un mode plus réaliste et exigeant, se fabriquent leur place par la recherche, le travail, la création de nouvelles voies d'expression constitutives d'une véritable culture désignée sous le terme généri­que de hip-hop.

Entre ces deux tendances existent des influences, les seconds, plus actifs, diffusent par radio-rue et sur les murs de la cité des messages entendus par les premiers, notamment parmi les plus jeunes. Que dire de ces enfants qui n'ont jamais su une récitation mais connaissent par cœur de longs textes de rap ? Ou encore de ceux jugés inaptes à l'écriture qui en vien­nent à passer leur temps à faire de la calligraphie ? De ceux qui dansent sur les dalles ? De ceux qui taguent partout leur surnom comme pour prouver qu'ils exis­tent ?

Appréhendé principalement par le rap, perçu souvent à tort comme un appel à la violence, ou au tra­vers des tags, le mouvement hip-hop a vu son histoire en partie éclipsée aux yeux du grand public par la cou­verture médiatique des bandes de « zoulous ». Pour­tant, de par ses formes, cette culture de la rue « parle » à une grande partie de la jeunesse de nombreux pays du globe ; de par ses origines pluriethniques elle marie la tradition avec les modes d'expression et les innovations techniques d’aujourd’hui ; de par ses contenus elle offre une alternative au désespoir et à la violence car elle est aussi une attitude, un comportement, un mode de vie générateur d’une nouvelle identité ; enfin de par sa créativité elle contient des potentialités d’action encore inexploitées à ce jour.

Le marché de l'art, lui, a assez rapidement perçu les ressources de cette créativité. Les grafs sont passés de la rue aux cimaises des galeries ou des musées. Très bien côtés officiellement, certains artistes ont acquis une réputation au-delà des frontières. L'industrie du show-business a plus qu'entrouvert ses portes au rap qui s'est vu fortement médiatisé ces derniers mois. Les chorégraphies se pro­fessionnalisent et s'exportent même à l'étranger. Cette reconnaissance est fondamentale bien qu'elle ne concerne qu'une petite élite.

Ainsi, paradoxalement, de nombreux jeunes à l'in­térieur des cités manquent de moyens, cherchent des lieux pour s'exprimer, des occasions pour créer, afIn d'impulser une dynamique de changement.

 

 

Deux approches difficilement compatibles

 

Les acteurs de la politique de la ville et ces jeunes ont donc des préoccupations convergentes et des potentialités d'action complémentaires. Bien sûr leurs motivations sont différentes. Les premiers veulent évi­ter de se confronter à une situation définitivement ingé­rable ; les seconds, confrontés quotidiennement à la misère ambiante qui fait des ravages, veulent changer cet univers. Mais quelles que soient les raisons, leurs finalités sont communes: en finir avec le ghetto (ce qui est légèrement différent de vouloir « en finir avec les grands ensembles » ), et les complémentarités apparais­sent évidentes.

Les grands décideurs à l'échelle de la nation sem­blent relativement mieux informés que certains déci­deurs locaux puisque Michel Rocard avait annoncé la création de 100 « cafés musique » pour le rock et le « rap ». L'emploi des guillemets autour du mot rap dans la transcription écrite du discours montre bien la relativité de la reconnaissance de cette culture et le chemin qu’il reste à parcourir.

Cependant, sur le terrain, au quotidien, la rencontre ne se fait pas encore, ou alors c’est l’exception qui confirme la règle. Combien de fresques, de peintures murales ont été réalisées par des plasticiens professionnels, alors qu’habitant les lieux, des graffeurs de talent auraient pu réaliser à moindre coût et collectivement des résultats comparables ? Les exemples sont nombreux. Ainsi, dans la pratique, cette complémentarité ne débouche que très rarement sur des collaborations. La plupart du temps, la rencontre ne se fait pas car chacun des protagonistes appréhende le monde à travers sa propre culture, avec ses propres codes. Les institutionnels, qui n’échappent pas à la désinformation, ont trop souvent des origines et une histoire tellement étrangères au milieu hip-hop qu’il leur est difficile de faire le tri et de comprendre la vie des rappeurs et des jeunes des cités. La plupart du temps, n’ayant pas les clés nécessaires, ils se content d’appliquer leurs propres références à l’analyse des situations qui va déterminer les projets.

Les jeunes qui animent le mouvement hip-hop subissent l’amalgame. Souvent confondus avec la « caillera », assimilés aux délinquants, ils ont vu leurs aspirations dénaturées par les professionnels de l’information. Incompris ou récupérés, déçus par l’inertie générale et parfois par une opposition systématique, ces jeunes ont décidé de se prendre en charge et sont plutôt en réaction face à l’institution qui jusqu’à présent ne les a guère pris en compte. C’est d’autant plus dommage qu’en grande partie légitime.

La communication ne pourra fonctionner qu’au prix d’ouvertures, de changements dans les mentalités. Il est évident que c’est d’abord aux institutionnels d’oublier un moment leurs grilles de références pour s’ouvrir à la culture des autres, de ceux-là mêmes qui semblent être les seuls, ou presque à se bagarrer de l’intérieur.

 

La participation : utopie ou gageure ?

 

Cette évolution des mentalités est une condition déterminante de la participation tant recherchée des jeunes. Certes, à petite échelle, des micro-projets suivis de réalisations éparpillées ici ou là, jamais recensées, ont démontré la viabilité de cette participation.

Cependant, la logique participative est trop rarement envisagée et réalisée en fonction de ses finalités. Si  l’aménagement de l’espace et les pratiques des habitants fonctionnent en interaction ( l’espace déterminant les pratiques et les pratiques déterminant l’espace ), il n’empêche que la finalité est bien de modifier les pratiques en intervenant sur l’espace. Autrement dit, c’est à partir des besoins, des désirs et des pratiques des usagers que les professionnels devraient les aider, aussi bien à concevoir qu’à réaliser les modifications du cadre de vie, afin que cette réappropriation des lieux se double d’une réappropriation de leurs capacités créatrices et organisationnelles, afin de les étendre à d’autres projets, d’autres sphères de la vie quotidienne ( régies de quartier, coopératives d’alimentation, gestion des transports, organisations de réseaux, mise en commun d’outils et de compétences…). Les habitants sont alors moins en position de subir que d’agir à différents niveaux, retrouvant leur dignité dans une citoyenneté active, à défaut d’être statutaire pour une partie d’entre eux.

Bien entendu, cette participation sera parfois conflictuelle. Mais tout conflit est porteur de désirs, de revendications, ouvre la voie à la négociation et, à condition de savoir le gérer, se révèle générateur de dynamique. Dans le passé, les luttes du mouvement ouvrier ont contribué au progrès social tout en jouant un rôle intégrateur pour différentes vagues d’immigrations. Tant qu’il y a conflit, il y a espoir. A l’inverse, l’ignorance contrainte ou délibérée qui consiste à ignorer, devient le pire des mépris et cause la désespérance.

Ainsi, certains ont parlé à propos du tag, du graffiti, de la danse et du rap de « dernier moyen d’expression » des jeunes ( Alain Lebaube, «  La désespérance du Val-Fourré », le Monde, 15 août 1991 ). Sans doute faut-il entendre dernière possibilité pour ces jeunes de transcrire par des mots leurs problèmes avant de rejoindre ceux qui n’ont d’autres expressions que l’émeute pour exutoire à leur rage.

Dans Mire Info du mois de juin 1991, un article intitulé « Crises du travail social », synthèse de dix années de recherche dans le domaine de l’intervention sociale, nous donnait à lire entre autres : «  L’impact des nouvelles politiques fondées sur une suprématie de la « démocratie participative » au détriment de la « démocratie redistributive » trouve ses propres limites dans l’affaissement des mécanismes de représentation de la société civile ( essoufflement de la dynamique militante, dévitalisation du milieu associatif ). L’impératif d’insertion nécessite la mise en œuvre de nouvelles médiations ».  

Michel Delebarre, à propos de la participation des habitants, manifestait ses inquiétudes : « L’absence la plupart du temps, de représentations sociales légitimes et reconnues dans les quartiers, en particulier parmi les jeunes, est extrêmement préoccupante ».  ( extrait d’un article de M.Delebarre intitulé «  Les missions de la DIV » dans « La lettre de Michel Delebarre » numéro 17 du 3 septembre 1991 ).

Sans pour autant faire office de recette miraculeuse, le mouvement hip-hop, démarqué des structures traditionnelles, contestataire à sa façon, semble bien être le seul mode d’expression un tant soit peu collectif de la jeunesse des cités. Les concerts de rap attirent davantage de jeunes que les manifestations de SOS-Racisme.

Interviewé à propos de l’engagement politique, la réponse d’Akhenaton, fondateur du célèbre groupe de rap IAM, bien qu’elle n’engage que lui, donne, malgré l’hétérogénéité du mouvement hip-hop, une idée de l’esprit qui l’anime : « Engagés mais pas politiques. On est au contraire antipolitiques. Prends par exemple le parlement, ce sont les députés qui font les lois, et pourtant, ils ne les subissent pas. Je ne vois pas pourquoi on devrait subir des choses différentes d’eux ; s’ils ont le droit d’obtenir des amnisties et une immunité, on doit bénéficier des même droits. »  

Guillaume Malaurie, dans un article paru dans Libération du 3 août 1991, écrit : « L’enjeu réel de ces prochains mois est celui-ci : trouver les interlocuteurs, les leaders positifs, qui manquaient, tant à Montfermeil il y a un an qu’à Sartrouville il y a peu. A tel point que les préfets devaient «  inventer » ces « leaders ». Sans ces nouveaux relais, sans une citoyenneté nouvelle, pas de salut dans ces grands ensembles… ».  Plus loin, il ajoute : « …une bonne partie de l’avenir de ces partis traditionnels se joue là. Non plus sous les préaux. Mais sur les dalles ».

Sur Marseille, et notamment dans les quartiers  « chauds », il ne serait pas étonnant que, malgré la différence de moyens, un concert d’IAM rassemble autant de monde qu’un meeting de Bernard Tapie ou de Le Pen. Dans une autre interview ( rapportée dans Yo révolution rap de David Dufresne aux éditions Ramsay ), Akhenaton à propos de la récupération du rap, précise : «  Ils démarrent l’adaptation, quant à la domination, c’est une autre histoire… ».

 

 

Les enjeux du défi

 

Ainsi, le positionnement de l’institution, entre la négation et la récupération, la répression ou l’assistanat, dispose d’une marge étroite pour ne pas répéter les erreurs de la décennie précédente ( entre autres, la récupération des leaders au détriment de la base ). Saura-t-elle trouver cette capacité inventive que suppose la participation sans prises de position clairement définies par les décideurs. Entre les mesures d’urgence prises pour ramener la paix sociale ( séjours à la ferme, terrains de sport, animations dans les quartiers, etc ) et les effets lointains de la Loi d’Orientation sur la Ville afin de mieux répartir l’habitat social, aucun projet global, aucune stratégie d’ensemble ne semblent encore guider l’avenir proche.

Bien entendu, le développement de la culture hip-hop par les jeunes ne saurait être le seul mode d’action de la politique de la ville, mais cette action culturelle, particulièrement adaptée à la situation, est une composante essentielle au même titre que l’apprentissage de la lecture pour les jeunes, le soutien scolaire, la lutte contre le chômage, la rénovation du bâti ou le désenclavement des cités.

 

 

 

 

 

Conclusion

 

 

Il est vrai que le rap a pu par le passé et pourrait toujours constituer une menace à l’égard de l’ordre établi. A systématiquement subir l’oppression, à se voir régulièrement victime des formes les plus diverses et les plus excessives de brutalité, dont il n’est même pas besoin de rappeler ici les excès, l’expression symbolique de la violence n’est pas seulement légitime, elle devient nécessaire. Car la prise de parole est toujours préférable à un passage à l’acte ; le rap « engagé », qui dominait le mouvement jusqu’au début des années 90 remplissait donc un rôle d’exutoire. On peut même dire qu’il était de l’ordre de « l’intérêt public », puisqu’en exprimant les frustrations, il rendait moins probable le passage à l’action. Le rap prenait donc à son compte cette indispensable manifestation de l’agressivité et avait pour espoir, non réalisé en France, d’en fédérer l’expression dans une mise en perspective de tous les courants de la culture populaire. C’est précisément ce pouvoir de fédérer la parole de toute une population défavorisée qui effrayait les classes « bien pensantes ».

La vocation du rap paraissait donc salvatrice pour toute une catégorie d’exclus socialement, mais tout notre exposé s’est efforcé de montrer que le rap actuel n’a plus rien à voir avec ce qu’il fut à l’origine. Les rappeurs et une grande partie de la jeunesse défavorisée ont subi le préjudice du stigmate réducteur qu’ont leur a imposé et qu’ils n’ont pu qu’accepter du fait de leur manque de capital social et symbolique. Ce stigmate qu’ils ont donc repris a dénaturé l’essence du rap, éliminant tout discours politique, remplacé par des refrains festifs et des récits de bagarres, de délits, de « bitch »,de buisness. L’influence de la logique commerciale est aussi évidente, tant l’exigence de profit a motivé le rap à s’ouvrir au grand public. Ce qu’il en ressort, c’est tout simplement la consolidation d’un système social inégalitaire, à laquelle le rap participe comme medium à la fois structuré et structurant.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexes

 

 

 

Entretien avec Hamé du groupe La Rumeur, le 30 mai 2002.

 

- Présentation :

 

- Je m'appelle Hamé, je suis membre du groupe La Rumeur, qui est un groupe qui existe depuis 1995-1996. J'ai 26 ans, je suis encore étudiant et salarié. J'habite à Argenteuil. J'ai eu mon bac C ( bac Scientifique aujourd'hui ), j'ai fait des études cinéma et de lettres, j'ai obtenu ma maîtrise de cinéma en 1998 mais depuis... je virevolte.

 

- Présentation de La Rumeur :

 

- Son existence "humaine" remonte à 1995 et son existence discographique remonte à 1997. On a d'abord édité une série de plusieurs maxis, on a appelé ça la trilogie de la rumeur;  avec 3 volets : Le poison d'avril, le franc tireur, le Bavar et le Paria. Ces 3 volets servaient à installer successivement les 3 figures du groupe afin de permettre à chacun de "s'installer" et de développer une certaine identité. Ekoué a sorti le sien en 1997, moi en 1998 et Morad et Philippe en 1999.

De 1999 à 2000, il y a eu une période de vache maigre, pas mal de conflits avec notre producteur; mais cela reste une période charnière pour nous. D'un côté on commençait à jouir d'un certain succès d'estime avec les trilogies puisque avec tous les maxis confondus, on a réussi à en vendre 40 000 exemplaires sans quasiment aucune promotion, télé ou radio. Seulement quelques interviews en magazines spécialisés. Mais notre force, en terme de promo, reste avant tout le grand nombre de concerts qu'on a pu faire. On a fait un peu près entre 60 et 70 concerts, malgré notre notoriété restreinte, de 1997 à 1999. En 1999, La Rumeur est "orpheline" de quelqu'un qui puisse lui permettre de réaliser un projet plus "lourd", c'est à dire un album.

Et fin 1999 début 2000, on est contacté par plusieurs maisons de disques, des grosses majors. On alors pris la décision de jouer de la concurrence entre elles pour tirer une meilleure marge en ce qui nous concerne. L'aspect économique est très important; et ouais on ne fait pas ça que pour la gloire, on a aussi des réalités précaires, du moins pour l'ensemble du groupe, on est tous étudiants, d'autres chômeurs... Et donc on a fini par signer un contrat début 2000 avec EMI music.

Et à partir de là! On a tourné la page des volets. C'est une nouvelle réalité qui se met en place : c'est plus une petite SARL à 50 000 francs, là c'est une grosse multinationale avec des locaux immenses, beaucoup de moyens et donc plus de pression. Et surtout avec une autre échelle de chiffres.

Mais malgré cette signature, on a toujours eu la volonté de ne surtout pas finir avec un album qui sente le compromis parce qu'on est en major! En plus, on arrivait à une période où on avait tous mûri, humainement et musicalement, donc il s'agissait de mettre la barre plus haut d'un point de vue artistique par rapport à la trilogie. Puisqu'on avait accès à des studios et à des budgets beaucoup plus conséquents, on allait vraiment pouvoir mettre ça à profit pour le projet de La Rumeur, pour lui donner plus de volume, plus de "patate". Et disposer de l'infrastructure de la maison de disques pour la distribution et pour la "capacité" promotionnelle. Le tout sans trahir le concept de La rumeur; c'est à dire faire un vrai disque de hip-hop mais avec des moyens cette fois.

 

- Comment s'est déroulé la promotion de l'album?

 

C'est la période où on a dû être le plus vigilant, méfiant et créatif. C'est à dire qu'on ne pouvait pas, une fois fini, se contenter de livrer le disque à la maison de disque; au département marketing de la promotion. Et de leur laisser le soin de le promotionner. Donc il a fallu achever l'album, le mixer, et puis derrière assurer l’accompagnement promotionnel, c’est à dire dire ce que l’on ne voulait surtout pas faire. Comme par exemple des partenariats avec de grosses radios « putassières ». La Rumeur ayant un statut particulier, à ce titre la promotion devait être également particulière. La promotion devait être à l’image de La Rumeur, c’est à dire sans compromis. Le côté « hardcore », sans compromission, ne doit pas se trouver uniquement dans les titres ; il doit se trouver dans toute la démarche du groupe.

 

- Et il n’y a pas eu de pression de la part de la maison de disque pour la direction à prendre en ce qui concerne la promo?

 

-  Non, la maison de disque nous a signé en connaissance de cause. Ils connaissaient déjà le caractère du groupe et on avait prouvé avec le succès de la trilogie que notre recette fonctionne. C’est ce qui nous a permis d’agir à notre guise, tout en sachant que l’on est pas suicidaire. On veut, comme la maison de disque, que l’album soit connu et reconnu mais pas à n’importe quel prix. On ne veut pas se détacher de notre base populaire et on ne veut pas « être catapulté » dans des plans médiatiques. Et puis on veut laisser les gens aller vers nous plutôt que l’inverse. On préfère une vérité qui se trouve plutôt qu’un mensonge qui se vend ! Donc il était hors de question de faire une promo « putassière » alors que notre produit ne l’est pas.

 

- Est-ce que la signature chez EMI music a été pour toi une étape logique dans ta carrière musicale ou l’as-tu ressenti comme une sorte de récompense après avoir fourni un travail ?

 

- Bah je te cache pas que j’ai été un des plus méfiants. Ca a pas été l’euphorie. D’un côté tu es content parce que ton travail est reconnu mais d’un autre côté on sait que pour eux on correspond à une équation. Ils se disent : « Si avec très peu de moyens, ils ont réussi à vendre 40 000, si on les épaule, ça peut-être encore mieux. ». Mais il ne faut pas oublier que dans les maisons de disques il y a aussi des gens de qualité. Il y a certes une réalité économique mais dans l’ensemble ils nous ont laissé carte blanche. La seule source de conflit, c’était à propos du délai dans lequel nous devions avoir fini l’album. Et vu qu’on a fini l’album avec près d’un an de retard, ils n’ont pas été très contents.  Cela s’explique notamment parce que dans le groupe il y a 2 compositeurs et 4 rappeurs, cela multiplie les problèmes.

 

- Et aujourd’hui, est-ce que tu vis de ta musique ?

 

- Non je ne vis pas de ma musique aujourd’hui. Ce qu’il faut savoir c’est que malgré la signature en major, la maison de disque ne place beaucoup d’argent sur toi, cela ne va pas dans tes poches. La maison de disque investit essentiellement sur le plan logistique ; c’est à dire qu’elle est prête à te faire entrer dans les plus beaux studios, te faire travailler avec les meilleurs ingénieurs. C’est un peu comme un banquier, elle ne te donne pas d’argent tant que tu ne lui en as pas rapporté. C’est pas parce qu’ils ont énormément d’argent qu’ils le jettent par la fenêtre, bien au contraire.

 

- Est-ce que le rap, selon toi, est-un bon moyen de gagner sa vie en France ?

 

- Il faut dire qu’aujourd’hui, les plus gros bénéficiaires du rap ne sont pas les rappeurs. Ce sont les majors, les grosses radio ( skyrock ), les gros organes de presse qui ont investi des millions dans le rap, les marchands de fringues…Les rappeurs millionnaires tu les comptes sur les doigts de la main alors qu’il y a des milliers de rappeurs ! Il ne faut donc pas se laisser bercer par l’illusion que le rap va sauver nos vies ou va sauver les quartiers. Eventuellement à titre individuel mais c’est tout. Ca peut être une solution individuelle mais ça ne sera jamais une solution collective.

 

- Etes-vous entrés en contact avec d’autres rappeurs pour négocier votre contrat ?

 

- Non, on a fait ça comme des grands. On a tout « arraché » nous-mêmes, on a tout conquis sans l’aide de personne. Aucune subvention de Mairie, rien, on a tout « arraché » tout seul. A la force de notre micro, de nos concerts et de nos petits disques, aussi mauvais soient-ils !

 

- Que signifie le rap pour toi ?

 

Le rap est pour moi un vecteur de la fierté populaire, c’est ça qui m’intéresse . Le rap est né de la décomposition des quartiers pauvres. Il doit relever ce défi de mettre des mots sur des blessures, de mettre des mots sur la complexité de la réalité dans les quartiers, sur la complexité des rapports que nous entretenons avec nous-mêmes ou avec des gens de l’extérieur, avec nos bourreaux, avec nos oppresseurs, … s’il n’est pas capable de relever ce défi, il ne m’intéresse pas. Je dis pas que le rap français doit ressembler à ce que fait La Rumeur mais on doit relever le défi, que ce soit avec l’humour noir ou d’autres moyens. Que ce soit Coluche ou Desproges, tu te prends des barres de rire mais ça reste politisé, ça reste engagé. Il s’agit avant tout de mettre des mots. On appartient à des tranches de la population qui subissent le plus haut degré de rejet social. Le rap se doit de mettre des mots sur ce rejet. Si on s’écarte trop de cette mission initiale, on passe à côté de la réelle mission du rap. Vu le contexte actuel, parler des arbres ou des petites fleurs pour un artiste ou pour un poète, c’est presque criminel. Je fais partie de ceux qui pensent qu’on vit des années noires, des années de merde. Il faut en parler. L’essence du rap pour moi c’est se soucier de ce qui se passe ici et maintenant, sans jamais oublier que cela se fait au travers d’un prisme artistique qui a ses propres codes, qui a son esthétique. On peut voir le rap comme de la poésie sur de la musique électronique, mais c’est avant tout de la poésie, c’est du texte, c’est du verbe, ce que l’on aime nous c’est le verbe. On aime la nuance, on n’est pas des syndicalistes, on n’écrit pas des tractes. Il y a d’un côté l’alimentation par la réalité sociale mais il y a aussi des considérations purement artistiques. C’est un peu tout ça le rap. Le rap sert à sortir un peu des clichés que l’on a sur la population des quartiers et à pointer du doigt ceux qui nous font mal, ceux qui ont mis sur la paille des centaines de milliers de familles, ceux qui nous tirent dans le dos. Mais également pointer du doigt ceux qui, chez nous, participent au jeu de la destruction. Pour moi y’a trop de rappeurs qui participent à l’abrutissement général et qui ne relèvent pas ce défi dont nous parlions tout à l’heure. Malheureusement, les thèmes abordés par La Rumeur, et qui constituent à mon sens les thèmes qui devraient être systématiquement abordés, sont minoritaires.

 

- Comment expliques-tu cette absence de thèmes politisés aujourd’hui dans le rap français ?

 

- Ca n’a pas toujours été absent ! Au début des années 1990, je me souviens, un rappeur qui se pointait avec des textes mièvres, des textes à « l’eau de roses », il se faisait incendier par tous les rappeurs. De 1989 à 1993, les textes engagés représentaient la norme du rap français. Aujourd’hui la norme c’est d’être une « pute », c’est à qui se prostituera le plus, à qui sera le plus ridicule, à qui côtoiera les plus grands noms dans le show-biz. Aujourd’hui, la norme c’est ça , si t’arrives avec un souci de politisation : t’es marginal ! C’est grave, mais c’est quoi ? Bah c’est l’argent, c’est l’argent. Il faut dire que le rap n’a jamais drainé autant de capitaux, il n’y a jamais eu autant d’enjeux économiques dans le rap donc je comprends que cela fasse tourner la tête à beaucoup. En plus, les seuls qui auraient pu aider à maintenir le cap, ce sont les premiers à avoir fait le pas, à s’être fourvoyés, à avoir fait les bouffons. Tous les Minister AMER, tous les NTM, les IAM. Les premiers à avoir choisi la carte de l’insouciance, de la connivence, de beaucoup de parlotte pour rien du tout, la carte de la bêtise en gros. Le rap à fric quoi ! Et puis en cela ils ont été bien encouragé par les majors, ou radios comme Skyrock. Je parle d’eux parce qu’on est en procès avec eux.

 

- Pourquoi êtes-vous en procès avec Skyrock ?

 

- A cause d’un article paru dans LA RUMEUR magazine, où on parlait de Skyrock en terme peu élogieux. D’ailleurs le directeur de la maison de disque pense que c’est du « pain béni » pour nous, mais bon il pense en terme de marketing et de promo.

 

- Penses-tu qu’il y a une culture de la rue d’où est issue la culture hip-hop ? Et peut-on parler de culture rap ?

 

- « Culture de la rue », j’aime pas ce mot, pour moi c’est la réalité des SDF et des clochards. Une culture « populaire » convient mieux. Pour moi il n’y a pas de culture rap dans l’absolu. Le rap c’est ce que les rappeurs en font. Tout dépend de ce que les rappeurs sont. Du rap fait par des mecs du XVIème ou des fils d’ambassadeurs ne m’intéresse pas.

Ce que je vois à la télé chaque jour, c’est du rap de nantis. Arsenik ou Passi, c’est du rap de nouveaux riches, de nouveaux millionnaires, ça ne m’intéresse pas. C’est le rap d’une certaine bourgeoisie artistique ascendante… Voir l’étalage des bijoux, des bagues, des meufs et des voitures de Passi ou d’Arsenik ça m’énerve, ça m’énerve ! J’estime que c’est gâcher du temps sur un disque. Remarque le cinéma pornographique c’est aussi du cinéma donc à la rigueur on peut considérer ces groupes comme du rap, mais bon je ne cautionne pas. Ce sera du rap mais aps avec un grand R, enfin c’est subjectif…

 

- Penses-tu qu’il existe des clichés caractéristiques véhiculés par les rappeurs ?

 

- Bah oui ! d’ailleurs, c’est le propre de l’aliénation. Ils participent quelque part, et sans en être vraiment conscients, à la fabrication de leur propre caricature. Ouais bien sûr que ça existe. La plupart n’en sont pas conscients, mais certains, peut-être un plus rusés que d’autres, le font consciemment ; comme par exemple Akhenaton du groupe IAM qui a un côté machiavélique. Ils ont remarqué que cette fabrication de leur propre caricature est une recette qui fonctionne et ils se disent : « il n’y a pas de raison de changer une recette qui marche. ».

 

- D’après toi d’où proviennent ces clichés « repris inconsciemment » par la plupart des rappeurs ? Emanent-ils des rappeurs eux-mêmes ou bien de l’extérieur ?

 

- Les premières choses qui viennent à l’esprit appartiennent au sens commun. Ce n’est qu’en creusant qu’on sort des « sentiers battus ». Pour les rappeurs qui ne sont pas vraiment déterminés ni perfectionnistes, il est beaucoup plus facile de penser ce que le modèle dominant pense. Mais c’est la même pour tout le monde ! Il faut creuser pour avoir son propre caractère, sa propre identité. Et pour éviter de tomber dans les clichés dont on parlait.

 

- Mais alors qu’est-ce qui fait que certains ne tombent pas dans le piège et ne reprennent pas ces clichés ?

 

- Je sais pas, il y a tellement de paramètres… L’éducation, le caractère, la sensibilité, il y a aussi l’illusion de la réussite facile et rapide, l’alimentation culturelle, il y a tout ça…

 

- Et comment expliques-tu l’apparition de discours contestataires, provocateurs mais non politisés ?

 

- Nous ce qui nous a sauvé c’est qu’au départ, on avait une certaine conscience politique. Mais cette conscience politique est mal répartie. Il faut la cultiver. Il est nécessaire d’avoir les instruments qui te permettent de comprendre ce qui t’arrives. Et puis faut être curieux ! Cette curiosité c’est aussi quelque part le refus de se laisser marcher sur les pieds, la conscience  d’une certaine hostilité par rapport à soi. Etre curieux c’est se demander c’est quoi le colonialisme, pourquoi la guerre d’Algérie, pourquoi Le Pen fait 20%, pourquoi la gauche se ramasse, … ?

 

- Mais qu’est-ce qui fait que toi, qui a vécu ce que des milliers de jeunes ont vécu, tu t’es posé ces questions et que tu as décidé de construire ton discours autour de ça ?

 

Bah d’abord il faut être conscient de l’hostilité des institutions par rapport à soi, conscient d’évoluer dans un environnement violent parce que violenté. Ca c’est important. Quand je dis environnement violent, je parle pas des voitures qui crament. Pour moi un environnement violent c’est une famille de six personnes dans un deux pièces et qui vit sur un seul RMI. Ca c’est violent. Violent c’est 40% ou 50% d’échec scolaire, ça c’est violent. L’analphabétisme, l’espérance de vie dans les quartiers, on vit moins bien dans les quartiers, il faut le savoir. Il y a une conscience politique mais une conscience politique sans instrument collectif pour lui donner corps. Elle n’est pas palpable, elle n’est pas visible, mais dis toi que partout où il y a souffrance, il y a résistance. Elle s’exprime à travers des associations, en fait elle s’exprime quand il y a un vrai travail d’organisation. Personnellement je rêve de vraies solutions collectives. De remettre au goût du jour l’aspect collectif. La délinquance est une solution individuelle pour avoir ce dont on a été privé. Je ne cautionne pas mais je dis ça pour expliquer pourquoi c’est plus facile d’aller vendre du shit en bas de son immeuble plutôt que de faire un vrai travail d’organisation.

 

- Mais La Rumeur, qui tient un discours ouvertement engagé, fait figure d’exception dans le paysage rapologique français. Pourquoi ?

 

- Bah je te dirai que dans le cinéma ou dans la littérature, la proportion d’artistes politisés par rapport aux autres artistes est la même que dans le rap français. Dans le monde artistique, le nombre de gens qui ont les yeux ouverts et qui font en sorte que les autres gens les ouvrent est très restreint. Le rap n’est pas exempt, il appartient à cette bulle. Il est traversé par les mêmes insuffisances, par les mêmes contradictions. Dans le rock aussi il y a cette absence. Le problème aujourd’hui c’est qu’il y a que des projets consensuels. Il y a une espèce de formatage qui est très néfaste ; et pour la créativité et pour le rap lui-même. Le « rap-argent », qui domine actuellement, va dans le mur, va dans une impasse. Le formatage est en train d’user le rap. Il n’y a plus de caractère fort. Ce que je regrette également c’est que la perception du public non rap est déterminé par le modèle dominant, c’est à dire par le rap majoritairement médiatisé. Je ne reproche pas aux artistes « commerciaux » d’avoir vendu des disques, je leur reproche de l’avoir fait au prix d’une compromission totale et par là même d’avoir tourné le dos aux principes dont ils se réclamaient quelques années auparavant. C’est ça qui fait le plus de mal. Ceux qui se prétendaient être des incorruptibles, des combattants, sont finalement l’inverse de ça ! Et dire que les grands groupes qui vendent ouvrent des portes aux plus petits, ça c’estfaux. Ils ouvrent d’abord des portes à eux-mêmes, et ils ouvrent des portes à ceux qui sont prêts à se fondre dans le format imposé par les majors et les gros groupes de presse.

 

 

 

 

 

Textes :

 

 

 

NTM

Ma Benz

 

  "Suprême NTM"


{Refrain:}
Laisse-moi zoom zoom zang
Dans ta Benz Benz Benz
Gal', quand tu pointes ton bumpa
Ça m'rend dingue dingue dingue
Laisse-moi zoom zoom zang
Dans ta Benz Benz Benz
Gal', quand tu pointes ton bumpa
Ça m'rend dingue dingue dingue

Lord Kossity:
Gal', t'es sexy, viens voir Kossity
Original workaman, dans la ville de Paris
Gal', tées jolie dans ton Versace
Viens t'amuser avec un DJ top celebrity
Et c'est wine, bouge! Carré sur le groove
J'aime les gal's surtout quand les gal's move
Move-up, move-up
Pough, comme une louve
Bouge ton corps de la tête au pied
Et là, j't'approuve
Move up move up
Gal', wine ton body
Montre-leur que t'as pas peur
D'exciter tous les bandits
Wine comme une vipère
Si t'as le savoir-faire
T'inquiètes pas, y a pas d'galère
J'le dirai ni à ton père ni à ta mère
Ondule comme un ver de terre
Et jette-moi dans les yeux
Ton regard de panthère

{au Refrain, x2}

JoeyStarr:
Tu es ma mire, je suis la flèche que ton entrejambe attire
Amour de loufiat, on vivra en eaux troubles, toi et moi
Mais ce soir faut qu'ça brille, faut qu'on enquille,
J'veux du freestyle
Je veux que tu réveilles, tu stimules mon côté bestial
Pump'baby, monte sur mon Seine-St-Denis fonk
J'te la f'rai façon, j'te kiffe, y a que ça qui me rende jonke
A ton contact, je deviens liquide liquide
C'est comme un trou intemporel, bouge ton corps de femelle
Regarde le long de tes hanches, je coule
Ondule ton corps, baby, ouais, ok ça roule
Je deviens insaisissable à ton contact l'air est humide
C'est comme une étincelle dans ton regard avide

{au Refrain, x2}

Kool Shen:
Ce soir faut qu'on s'fache, baby, faut qu'on s'clashe clairement
Faut qu'on fasse ça bêtement
Donc move ton body, fait bander les bandits
Puis ton bon-da' brandit, tu t'en sortiras grandi,
Tu sais ce qu'on dit
Faut qu'ça glisse et puis qu'ça transpire
Qu'ça m'foute en transe, pire, faut plus que je respire du tout
Donne-moi, donne-toi, donne-moi tout ce que t'as
C'est fou ce que t'as comme talent
Mais où est-ce que t'as appris tout ça, après tout ça
Je m'en fous, j'veux juste que tu puisses me kiffer jusqu'à l'aube
Donc vas-y, monte sur mon Seine-St-Denis fonk

{au Refrain, x2}

 

 

 

Menelik

Tout baigne

 


Une question se pose
à moi, à savoir si j'ai le choix
Suivre le tempo ou pas je ne sais pas mais en tout cas
J'ai évacué pour la journée toute forme de soucis
Et j'me la roule debout, disons plutôt assis
Dans la foule je perçois le rire d'une dame
Entre les gens je rame pour m'approcher de la femme
Waah ! est-ce que tu as vu, ai-je la berlue ?
Une telle beauté même voilée ne passerait pas inaperçue
Y a du monde dans la place ? ouais
Cassez la voix, cassez la voix ? ouais
Évidemment sans ces parties la vie n'a pas de sens
La tribu en formation toujours dans la transe
Laisse ton corps me parler et continuons l'ambiance
Honni soit qui mal y pense

Aujourd'hui personne ne revendique dans le POS de MENELIK
De la vie à ce jour nous ne ferons aucune critique
Je glande sur la lleda s'te plait passe moi du Coca
Non pas d'embrouille non je ne veux pas de coquard
Juste goûter de ce jus que jalousement tu conserves
Avec toi je converse afin qu'on se serve
Mettons donc de côté les dingues qui tiennent les flingues
Regarde donc ces beautés je t'invite à faire la bringue
Donc suis moi on ira, on verra, on vaincra
Je ne sais pas où on va mais qui vivra verra
Oh non non non j'suis pas une idole
Sur le damier de Paul tous les gars de Paul m'épaulent
Ainsi, nous voici partis, tranquille tu l'as dit l'ami
Accompagnés des bonnes fées que sur la piste on rallie

O.K. man je reprends et ceci sans faux semblants
Je saisis au vol la perche que tu me tends
Un groove que rien n'arrête, des peaux qui se complètent
Mais la fête ne serait pas parfaite
Sans quelques demoiselles bien faites
Ça se passe comme ça mais je n' consomme pas rapidement
Je déguste le plat, le jeu en vaut la chandelle
Stimule mes papilles, les mignonnes m'émoustillent
À leur vue, je vacille, elle ondule je la sens tous mes sens en éveil
Tout baigne, dans l'eau, dans l'huile, sous le soleil
Elles ont toutes de belles plastiques, je m'arme de mon plastic
Hun ! hun ! on n' m'appelle pas pour rien l'homme qui tombe à pic
Le fête est éphémère mais au fond on s'en fout
Qu'importe le temps, la nuit est à nous

 

 

 

MC Solaar

Inch’Allah


Tout commence à l'aéroport,
Réception d'une fille qui voulait changer de décor,
Au départ il fait la tête de mort
Mais il est tout excité dés qu'il a aperçu son corps
Qui c'est? Lèche vitrine, shopping à Bel Epine
Il a de l'eau sous les bras chaque fois qu'elle l'appelle darling
Belle! Elle est belle, elle est bonne, elle est tali
L'appelle un peu la belle
Ici ma bella donna
Ca mama la nomadonna
Puis dans le living-room, elle veut faire boom boom
Sa copine arrive, fessait son bal doum doum
Il bébégeillait, lui dit bébé: "j'sais pas qui c'est"
Un menteur n'est jamais crut même quand il dit la vérité

Mais qu'est ce qu'elle a fait?
Dis moi qu'est ce qu'elle a fait?
Qu'est ce qu'elle a fait?
Dis-moi qu'est ce qu'elle a fait?
Quoi tu sais pas (Non j'sais pas, j'sais pas)
Et bien c'est simple, elle a chanté çà

{Refrain:}
Lève les bras et danse avec moi (Danse avec moi)
En jean en short ou en djéllabah
Mon corps le dit là-bas
Bébé Inch'Alaah
Lève les bras et danse avec moi (Danse avec moi)
En jean en short ou en djéllabah
On le dit là-bas
Bébé écoute çà


Deuxième histoire, çà se passe le soir
Métro liberté, regard sur le trottoir
Le gars, voilà la nana sur la tête elle a le bandana
Que portait les portoricains durant l'été 83
Que fais-tu dans la vie,
Elle répond j'suis call-girl
Collecte les euros avec ma belle gueule
J'suis là pour les minets qui ne veulent pas rester seul
C'est ainsi que je vie dans cette urbaine jeune gueule,
Il dit: "J'ai pas de cach mais quitte ton taf
J'adore tes yeux, il faut que tu fasses gaffe
Donne-moi ta main que je te mène à la mairie
Quand tu diras oui les amis jetteront du riz
La Pin-Up se lève, lui parle de façon brève
Au mec cri: "J'rêve" et se remets du rouge à lèvre
Je serais heureuse de vivre avec toi
Par ce que tu m'aimes et la vie c'est çà

{au Refrain}

Quand je regarde ce qu'il se passe autour
Je vois que la haine s'en va quand viens l'amour
Je souhaite que la guerre laisse place à la paix
Et que les pacifistes prennent la place des guerriers
Qu'on balance de l'amour dans les états majors
Que l'on interdise la loi du plus fort
Tribunal, pénal pour les sectaires
Par ce que fils de dieu, le père nous sommes tous frères

{au Refrain}

En jean en short ou en djéllabah
Mon corps le dit là-bas
Bébé Inch'Alaah.

 

 

 

 

 

 

Arsenik

Sexe, pouvoir et biftons


J'ai l'sourire, tant que j' manque pas d'billets d'banque,
De plaisirs charnels, blindé comme un tank pris sous le charme.
L.I.N.O gonflé comme une grosses paire de mamelles,
Moi l'fric sa m'fait bander comme le boule à Julia Chanel.
Demandez à mes partenaires, qu'est ce qui fait tourner la planète.
Le sexe, les biftons, le pouvoir et les bizness pas nets.
Vise aux manettes, rien que des proxénètes, avise,
Les maquisards au QG, eux ils connaissent la devise.
C'est net, brise les tabous et qu'on s'le dise,
Au bout du rouleau, les chiens sont à bout, ils gisent.
La boue jusqu'au cou, ici beaucoup misent sur les gros coups, méprisent,
Le métro boulot sous emprise, ils jouent du teaucou, tisent.
Attisent les flammes, convoitise les belles femmes,
Sous le soleil de satan, les anges sont infâmes.
On s'attend au pire, en tâtant plus de billets.
La devise, expropriée, la paix peut aller s' r'habiller.
La crise a consumé le ghetto et ses rejetons,
Le sort est toujours plus vicieux avec ceux qu'on a rejeté, les jetons,
Ça rentre ou ça sort, la vie c'est pas un feuilleton,
Un long fleuve tranquille, ou un putain d'bouquin à feuilleter, cueille ton
Blé, mec d'emblée, tous les scarlas s'ressemblent,
C'est niqué il me semble, et dans ce maquis on crévera ensemble.
La gloire, on en veut tous ou plus ou moins une parcelle,
Et quand j'regarde mon mirroir, le démon me harcèle.

{Refrain:}
Qu'est ce qui fait courir les scarlas?
Qu'est ce qui fait courir les scarlas?
Sexe, pouvoir et biftons, les respect passe par là.
Voilà c'qui fait courir les scarlas:
Sexe et biftons,
Qu'est ce qui fait courir les scarlas?

Je veux le monde comme Tony, koké des koukounes commes Rocco,
Sans ironie, croquer la vie, une paire de noix de coco en ro.
les bourses pleines, joko, roc à la place du cœur, stoco en affaires,
Croco quand il faut plaire.
J'hoche la tête, domine, fauche mes ennemis,
Accroche mes trophées, mes poches enflent quand j'passe rue st Denis.
Le sexe, le pouvoir et les biftons, voilà,
Y a pas le choix, rouya, le respect passe par là.
Roulez avec moi et vous ne regretterez rien,
Rien que du popotin, du bon vin, gars, plus jamais en chien;
Un gros fer, jantes chromés, chaque soir je promets un bon délire.
Troner, dans le tout Paname, pleins d'goumés.
File ton chichon, vide ton sac fiston.
Dans mon pegrou, c'est porte ouverte, y a pas besoin de piston.
Hisse ton drapeau noir, plisse ton front garçon,
Laisse ton petit train train de vie, et piston.
Le succès passe par là, je l'ai vu, mais bordel il trace.
Je f'rais n'importe quoi pour l'avoir, ça passe ou ça casse.
Pas de soucis, à part peut être la couleur d'ma cravate,
Je suis aussi beau qu'un billet d'cinquante keusses.
Mate le traîne-savates est devenu quelqu'un, mes pieds au sol, ma tête est loin.
Dans ma rue c'est plus comme avant, tout le monde est mon copain.
Le monde est à moi et j'ai les pompes cirées,
Je m'inquiète pas pour les fins de mois, j'ai déja mon chèque viré.
C.A.L.B.O dévoile les rêves des cages d'escaliers,
Qu'est ce qui fait tourner la sphère, mon gars, maintenant je sais que tu l'sais.

{au Refrain}

J'me fixe sur le mix, et j' m'exprime sans complexe,
XX ou quand le sexe prime, ma rime devient sexplicite, et j'te dis qu'ça.
Épicé comme au Tex-mex, pour diksas, un texte plus profond qu'la gorge à Draghixa.
Latex en poche, Durex pour sponsor,
Qu'est ce qui fait tourner la sphère a part le sexe et l'or.
On sort pas du contexte et c'est comme dans l'premier couplet,
T'es un mec comblé quand fesses et blé sont accouplés.
On s'extasie, on s'expose, sexe comme extasie, explose;
Ici au Sussex, et jusqu'en Aise ose me dire que mon rap te vexe,
Miss on s'excuse pas on t'expose les faits.
La prose fuse, sexe jusqu'à l'excès, ce lyrics est clair.
L'argent n'a pas d'odeur mon frère, mais la femme a du flair.
La jalousie ronge l'envieux comme la rouille ronge le fer,
On ira tous au paradis car c'est ici l'enfer.
Aucun tact, rien que des pactes, du buis, traque pour la monnaie,
Sacs bourrés, chaque soir, braque des tas de poupées.
Coupé cab, respect, passe le pouvoir, tout m'est donné,
Moi la place qui m'revient sous le chaud soleil du tanché.
Haché fin, caché, dans un trou baché, celui qui me fache et
Arraché de la zone, tout ceux qui avec moi veulent marcher.
Le sexe, le pouvoir et les biftons, voilà,
Y a pas l'choix mon gars, le respect passe par là.

{au Refrain}

 

 

 

La Clinique

Playa


C'est sur une putain de plage
que j'admire le paysage
Laissant de loin le mauvais côté
du bitume, est-ce un mirage ?
Il y a des rates au fessier
plus généreux, de l'acool
ça sent la chiré,
Le papillon en raffole
Les personnes jalouses
m'observent,
me prennent en photo
comme dans un film
dont je suis le héros
Alerte à Malibu,
je me jette dans les vagues
Une tasse-Pé se noie,
c'est si bon pour la drague
Que d'applaudissements, j'ai sauvé une vie
Mais rien n'est gratuit, la victime
sera ce soir dans nos lits !
Je déguste un cocktail,
Vuarnet sur la tete
Signe des autographes
que veux tu je me la pète,
je rentre à l'hotel,
on me file ma suite
Ce soir j'invite mes lascars
les serveuses ont des fuites
Pas de panique,
La Clinique te donne le declic
On a tout le temps,
on savoure d'abord les splifs

{Refrain:}
Playa (x4)

Le lendemain matin
vers 15 heures de l'après midi
tout le monde se lève,
dans la chambre c'est l'orgie
Des femmes sans culotte,
à terre des capotes
les sourires joyeux des putains
d'enculés de zipotes
Bon direction la piscine
de l'hotel
on crache d'abord les billets
pour les femmes
afin qu'elles reviennent
Je pique une tête c'est alors
qu'une bombe m'interpelle
viens avec ton gang
ma chambre est la 27
que c'est bon, ok, on y sera
préviens tes copines
car mes sosses
sont plus nombreux
que les casseurs de vitrines
On s'rhabille
on va flamber au casino
la roue tourne, faites vis jeux
on ramasse les lingots
on dine dans le restaurant
le plus chic de cannes
on nique le bénéfice
c'est ma tournée générale
Seul probème
on n'a pas la caisse pour rentrer
mais ces mesdames vont se faire
un plaisir pour nous raccompagner

{Refrain:}
Playa (x4)

Cette fois on est en ville
j'avance avec ma famille
18°
la chaleur d'un soir d'été
c'est la lune qui brille
bar à cocktail
on s'installe, c'est karaoké
24 carats au cou
OK Tout saigne me l'a payé
seule la flambe paye
j'ai pas le temps
je m'empare du micro
enlève nous cloclo
mets l'instru qu'on fasse
un putain de morceau
apparemment ça plait
ce soir on va bien dormir
10 numéros de portables en
poche on n'a qu'à choisir
la nuit ne fait que commencer
tous sur le sable autour d'un feu
on baise à volonté
c'est si bon de kiffer
bières et joints se font tourner
la tournure que prennent
les choses : jouissance
et grande fonce-Dé
Pas même un gyrophare
pour obstacle
les gendarmes se joignent à nous
boire un petit coup
c'est agréable
et tout se finit
dans une ambiance de reve
je m'endors sur la playa
soleil levant je me reveille

 

 

 

Fabe

L’Impertinent


Le genre d'un gère est un mystère qu'ils n'ont pas découvert...
J'persévère, balance du son façon trop sévère,
Le faux devient vert et aussitôt il en perd ses vers,
Façon père sévère, j'veux pas qu'mon fils devienne mercenaire
J'veux qu'il aime sa mère et son dictionnaire.
Visionnaire, missionnaire, idées fixées,
Prêt à vexer si ton questionnaire commence à m'plaire,
J'opère, pépère, si tu fais l'affaire frère,
Ta part du bénéf' faut qu'tu récupères...
Un monde austère, mais j'sers les poings,
Les coudes et les dents, t'es pas résident, ça semble évident...

{Refrain: x2}
L'impertinent, celui qu'écrit une lettre au président,
Le mec qu'a du sang froid qu'tu sent froid, qui est distant

Ma façon d'envisager le rap est élémentaire,
Pas contre quand j'ai fini mon couplet c'est sans commentaires!
Documentaire, comme la B.U.
D'la fac de Nanterre, mensonge on enterre,
Envoie les mauvais songes en enfer, persévère,
Pour qu'unité soit entité, que la réussite choque,
1, 2 ça suffit pas! Ca m'suffit pas, j'en veux plus
Des frères qui réussissent, des pneus qui crissent,
Des virages, que nos vœux ne soient plus mirages,
Des visages joyeux, paysages soyeux,
Mon vieux, mieux vaut tard que jamais, J.E t'avoue que j'crois pas au monde merveilleux ici-bas.
Les belles images, c'est pour Sony et Toshiba,
Paris bas,
Passe à l'action, j'fais mon boulot.
Remplace tise et bêtise par montée l'oscilloscope,
Syncope prévue pour droiter l'extrême.
J'm'incruste en intrus, envoie l'instru, me v'là sur la scène.

{au Refrain, x2}

Si Jean-Marie courrait si vite que j'l'emmerde il s'rait tellement loin...
Avant j'les détestais, mais aujourd'hui j'les aime tellement moins...
C'est physique, biologique,
Au bleu, blanc, rouge j'suis allergique.
Microphone branché, j'me sens tellement bien...
J'leur en fait baver, ces navets, j'peux les braver.
La vie est une manif', la France une vitre et moi un pavé.
Un raz de marée sur un village de politiciens,
Ils volent tellement qu'ils ne savent pas nager !
PDG d'l'entreprise de l'impertinence,
Provoque l'incontinence des vieillards séniles à la présidence...
Qu'est-ce que t'en penses ?
Si c'est du bien parles-en autour de toi; faut qu'ça avance.
Beuf dans la place, j'vous tire ma révérence.

{au Refrain, x2}

 

 

Fabe

Visionnaire

Paroles: Fabe. Musique: Cut Killer


{Refrain: x3}
Il y a des tonnes de drogues douces qui poussent dans nos quartiers,
Les âmes perdues s'y trouvent comme du tissu au Sentier,
Des vies en chantier, la fantaisie transforme en rentier,
Des lascars qui s'en foutent puisqu'ils en veulent au monde entier.

Une vie qui ressemble à un espoir kidnappé, une ville nappée, par la pollution drapée, attrapé,
Virus, quotidien râpé, détails captés, retranscrits, parfois déformés.
On fait l'effort mais, le plus dur, c'est la barrière à franchir,
On n'va quand même pas passer nos vies à réfléchir, faudrait agir,
Peut-être, à moins qu'on soit tous là pour poser.
Osons ! Si il faut oser en causer,
Ben causons ! Mais avant d'être ankylosés, avisons! Divisons
Les tâches, le taf à faire et construisons
Autre chose que ce qu'ils nous ont réservés.
On peut vivre où on vit et en même temps être préservé.

{au Refrain, x2}

"Tu veux les avantages du quartier, t'auras les inconvénients.
Ta cité c'est pas ta mère et si tu crèves elle aura d'autres enfants !" (x5)
J'me bats, contre la guerre entre le démunis, j'veux frères, sœurs,
Soudés comme les Etats-Unis sans le Ku Klux Klan,
Sans les "players" et les gangsters à deux francs. Coup franc,
Mal de vivre placés sur le banc des accusés. J'ai vu des jeunes désabusés tiser,
Attisés par la mouise ils visent et plantent des lames aiguisées,
Mais ça tu l'sais !
Même si ces rimes apportent le succès,
J'ai fixé mon objectif : éviter l'excès.
Mec c'est peut-être pas ce qui me rendra millionnaire,
Mais si on parle de moi plus tard on dira qu'j'étais visionnaire...
" Visionnaire ! Mais pour qui il se prend ! On dira qu't'étais un gros con, ouais. "

 

 

LUNATIC avec le titre "HLM 3"
(E. Yaffa/Y. Sekkoumi/M. Jouanneau)
Extrait de l'album "Mauvais Oeil".

Booba
J’kiffe les bizness illégaux
La sape, les caisses et les gos
Smoker des gros bouts d’shit après j’ai l’groove grave
Bédave, sexe, pillave sec dans mon clan
J’peux pas faire mieux qu’mon rap de banlieue
J’rappe comme j’cause, haine à grosse dose,
La rage comme guide et c’est pour ça qu’j’parle toujours des mêmes choses,
Tchatche de la zone, prône la guerre aux autres hommes
Ceux qui parlent trop mal, chope et hop sous l’trôme
J’aime la grande vie
C’est la merde, mais j’l’aime car c’est la mienne
Y’a pas de bonheur sans problèmes
Réveil impulsif, j’roule un spliff de skunk,
Et j’kick sur un beat de funk
Pas de lyrics de fils de pute,
Insolent même sur mes bulletins,
Cousin, j’suis l’bitume avec une plume
Faut qu’j’passe au plan B
Veulent diviser mon peuple en deux
L’an 2, j’attends ça depuis le landau.

 

 

113 avec le titre "Truc De Fou"

Extrait de l'album " ni barreaux, ni frontières, ni barrières"

J'fais des trucs de dingue comme un gogol foncedé à l'alcool.
J'prends le monopole, j'prends mon envol.
J'escroque et à tous les coups je fuck.
Je me moque, je vis dans mon époque.
J'te braque même pour du toc.
Appelle-moi le barjeot, le malade qui marche en solo.
Accompagné de mon calibre, de mon couteau, je te troue la peau.

Hold Up extrait de l'album " les princes de la ville", 113
Je suis postiché, ouais je suis postiché!
J'ai les mêmes cheveux que Dalida
la barbe de Fidel Castro
et un gros berreta!
La guimbardine de Columbo,
les lunettes d'Elton John,
et la dégaine distinguée des frères Dalton.
Les lieux sont repérés, 9h devant la banque,
j'suis devant le sas, je sonne et je rentre,
je fais la queue comme tout le monde,
mes pôtes m'attendent 2 rues plus loin,
je suis opérationnel dans 30 secondes.
Je guette le vigile, et vue qu'il me regarde bizarre,
je m'approche vers lui et je lui dit: "Qu’est-ce que t'as connard?"
Je lui met un coup de plafond et de suite je sors
mon arme et je braque la grosse,
vue qu'elle se trouve derrière le comptoir,
"Ferme t'as gueule on va pas en faire tout une histoire."
D'ailleurs, hey ouvre le sas (ouvre le sas!!)
y a mes potes sur le trottoir,
je sors les sacs de sports en un temps record,
met juste l'oseille et dans 5 minutes je sors

 

Booba avec le titre "Repose en paix"
(E. Yaffa/C.Dumoulin)
Extrait de l'album "Temps Mort".

J’dois marquer mon territoire, on veut m’empêcher d’pisser.

J’arrive sur toi plus vite que les ragots, mon argot sous un garot,

derrière des barreaux les poils hérissés,

négro j’vais foutre la merde et j’vais m’barrer comme au lycée.

Ici y’a qu’une marée et elle est noire foncée,

que le hip hop français repose en paix.

Mesdames messieurs, ici-bas pour représenter,

on roule tous à 200, certains ont pété l’essieu ;

j’ai pas prêté mon style aux salopes,

mon crew au top équipé arch’ et j’baise les garces avec un artop.

F.A.U.X., débranche,

pé-sa en noir avec une faux j’contourne les MCs à la craie blanche.

Le résultat d’une blanche et d’un nègre, un coup d’hanche et c’est l’ravin,

fais pas ton nid sur la branche d’un aigle.

 

LUNATIC avec le titre "Les Vrais Savent"
Extrait de la compilation "L 432".
1997

Booba
Décidement j'suis trop nerveux
J'arrive plus à écrire autre chose
Vie d'rue bien vécue du cran avant de vé-cre
Vie crue
Personne m'a dit que c'etait du tout cuit
Plus j'suis condamné à percer sans donner mes fesses et
Si ça marche cool
Sinon nique sa mére
J'rapperai que pour mes fréres
Je roulerais pas en lexus fils je peux rien y faire
Je serai pas connu des bourgeois
Ils verseront pas de cash pour moi
Mais bref
J'rappe pour mes reufs
Pour mes reuss
Ali mon double ou moi le sien
Lunatic jamais en chien
Inch Allah on s'en sortira bien [Inch Allah]
Nos proches aussi
Merci aux pieux
Leurs prophéties
Aux gens bien ou moins bien dans le mauvais y a du bon aussi

Pourquoi j'suis violent dans mes rimes
Friand de crime dans mes textes
Les vrais savent [Les Vrais savent]
Que c'est peut-être la vie que j'ai
Ils veulent nos têtes
Nous voir en bas
Niquer nos sectes
La vie nous rejette fils mais t'inquiète pas
La roue tourne
Les billets changent de main
La douleur cesse
Ma couleur blesse cette vie de chien
Stoppe le flow de sang
Ce sang c'est le votre
Faut prendre le leur
Les vrais savent
Préviens les autres

 

Booba
Pour foutre le feu y a pas que l'essence
Laisse les faux en convalescence
Triste adolescence
Cherche la maille dans tous les sens
Mâte ce que mes fréres font [Regarde]
J'veux pas de cette vie là
J'aimerai revaloriser les miens comme le franc CFA
Les murs moites d'une prison c'est pas mon but
Ma carriére a commençé déjà 20 piges en arriére
Tous unis comme Benetton
On est plus de 11
Tous bronzés
Les cheveux j'les ai crépus comme Jésus
Les miens se foutent des 7 vertus
Les 7 pêchés prennent le dessus,
Le monde est déchu, le bien sous le mal est vêtu,
J'ai pas attendu qu'on me tende la main
J'ai pas attendu les avertissements des anciens pour avancer la tête haute
La tête haute,[La tête haute]
Je représente la vie de rue
A qui la faute si mes gens y semblent frustrés,
Monnaie et sexe
Voilà de quoi illustrer le genre d'illusion qui plane dans mes environs
Là où certains diront
Qui ya pas besoin d'avoir fait math sup pour savoir couper 1 ze-dou

Ali
Tu me diras pourquoi autant de haine cousin
Regardes autour de toi
Ici tout est malsain
Le mal s'installe à chaque coin de rue
Loin des Hlm du 16éme
Mon 6éme sens me guide
J'suis pas un vendu
J'représente les gens du
Nord-Sud-Est-Ouest tant qu'ils restent vrais nique le reste
Tendue
Est l'ambiance quand j'pense
Qu'en France
Certains donneraient cher pour nous voir pendus
Comme les X men j'ai la vision
Oublies tes bijoux et ton vison
Surveilles ta maison
La plupart des fréres perdent la raison
Que vas tu faire
Armaguédon arrive
Armaguédon arrive fils

 

 

LUNATIC avec le titre "Le Crime Paie"
Extrait de la compilation "Hostile".
1996

Seul le crime paie
Aucun remords pour mes pêchés
Tu me connais je suis assez bestial pour de la monnaie et
N'aimant que manier l'acier pour les billets
Si t'entends des "click click"
Seul le crime paie!

Booba avec le titre Inédit
(E. Yaffa/M.Jouanneaux)
Extrait du maxi "Strass et paillettes".

Un rap imité, plagié, rendu cool,
du coup, beaucoup d'MC saignèrent du coup.

 

113 fout la merde

Ah, ah, ah.......
J'arrive, j' fout la merde comme en concert
Fout la Et je me jète dans la foule comme un rocker
Je m'en fous pas comme Ramzy
Merde vas-y
C'est l'air aimé, RMI,
Les murs transpirent
Enlève ton t-short, Mani
On se met à poil comme au bled 21
Au casino ou Miami
N-ami, l'ami
Ghetto comme un Harlem
Et là on se ramène
En prison, on rend fout les matons
Si t'es en auto, accompagne se son
A coup de klaxon
Les gyrophares de keufs en guise de spot
Les scènes immortalisées sur son caméscope
A tous les étages de la tour
Un son a te faire griller les feux
Sécher les cours comme Miss France 2001
Devenir un bonhomme hors limites
A te faire rentrer à l'aube
Roule-toi un gros fumigène (c'est sec)
Desserrer les fesses
Et si tu squat les bancs
Jusqu'à en avoir les marques sur les fesses
Même les flics sont de mèche (fout la merde)
Et garde la pèche

J'arrive, j' fout la merde comme au parc des princes
Avec mon staff ( équipe ) comme Gui Roux on est tous des princes
Mouvement de foules de fous, tout à fait
Comme dirait Thierry Reloud et Jean-michel Claqué
113 l'équipes dont t'entendent pas les murs qui tremblent
C'est comme le gaz de France
Dans ta chambre
C'est mito recuis
Ça sent la boule a zéro
Y' a plus de cheveux qui frisent
Comme Rochet eaux (oh......)
Fout la merde
Comme au prusse ou comme au heure de pointe dans le bus
Ou comme au studio
Quand on bosse, bouge la tête
Jusqu'au torticolis
Même grippé on sort du lit


Si t'es en discothèque, rentre dans le tas
Lève le doigt en l'air fait le grand écart comme Travolta
Tu vois flou
Et tu rentre sou
Lève la cuvette et comme Tiger Wood vise bien l'trou
9.4 fins de la pif en talasoul
Et de suite ton salon se transforme en saloon
9.4 te macobe
113 fout la merde

 

 

 

NTM

Qu'est-ce qu'on attend ?

1995 "Paris sous les bombes"

Mais qu'est-ce, mais qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ?
Les année passent, pourtant tout est toujours à sa place
Plus de bitume donc encore moins d'espace
Vital et nécessaire à l'équilibre de l'homme
Non personne n'est séquestré, mais s'est tout comme
C'est comme de nous dire que la France avance alors qu'elle pense
Par la répression stopper net la délinquance
S'il vous plaît, un peu de bon sens
Les coups ne régleront pas l'état d'urgence
A coup sûr...
Ce qui m'amène à me demander
Combien de temps tout ceci va encore durer
Ça fait déjà des années que tout aurait dû péter
Dommage que l'unité n'ait été de notre côté
Mais vous savez que ça va finir mal, tout ça
La guerre des mondes vous l'avez voulue, la voilà
Mais qu'est-ce, mais qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ?
Mais qu'est-ce qu'on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ?

{au Refrain}

Je n'ai fait que vivre bâillonné, en effet
Comme le veut la société, c'est un fait
Mais il est temps que cela cesse, fasse place à l'allégresse
Pour que notre jeunesse d'une main vengeresse
Brûle l'état policier en premier et
Envoie la république brûler au même bûcher,
Ouais !
Notre tour est venu, à nous de jeter les dés
Décider donc mentalement de s'équiper
Quoi t'es miro, tu vois pas, tu fais semblant, tu ne m'entends pas
Je crois plutôt que tu ne t'accordes pas vraiment le choix
Beaucoup sont déjà dans ce cas
Voilà pourquoi cela finira dans le désarroi
Désarroi déjà roi, le monde rural en est l'exemple
Désarroi déjà roi, vous subirez la même pente, l'agonie lente
C'est pourquoi j'en attente aux putains de politiques incompétentes
Ce qui a diminué la France
Donc l'heure n'est plus à l'indulgence
Mais aux faits, par le feu, ce qui à mes yeux semble être le mieux
Pour qu'on nous prenne un peu plus, un peu plus au sérieux

{au Refrain}

Dorénavant la rue ne pardonne plus
Nous n'avons rien à perdre, car nous n'avons jamais rien eu ...
A votre place je ne dormirais pas tranquille
La bourgeoisie peut trembler, les cailleras sont dans la ville
Pas pour faire la fête, qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu
Allons à l'Elysée, brûler les vieux
Et les vieilles, faut bien qu'un jour ils paient
Le psychopathe qui sommeil en moi se réveille
Où sont nos repères ?
Qui sont nos modèles ?
De toute une jeunesse, vous avez brûlé les ailes
Brisé les rêves, tari la sève de l'espérance.
Oh ! quand j'y pense
Il est temps qu'on y pense, il est temps que la France
Daigne prendre conscience de toutes ces offenses
Fasse de ces hontes des leçons à bon compte
Mais quand bien même, la coupe est pleine
L'histoire l'enseigne, nos chances sont vaines
Alors arrêtons tout, plutôt que cela traîne
Ou ne draine même, encore plus de haine
Unissons-nous pour incinérer ce système

 

 

IAM

Nés sous la même étoile

 


{Refrain: 2x}
La vie est belle, le destin s'en écarte.
Personne ne joue avec les mêmes cartes.
Le berceau lève le voile, multiples sont les routes qu'il dévoile.
Tant pis, on est pas nés sous la même étoile.

Pourquoi fortune et infortune, pourquoi suis-je né
Les poches vides, pourquoi les siennes sont elles pleines de tunes ?
Pourquoi j'ai vu mon père en cyclo partir travailler
Juste avant le sien en trois pièces gris et BMW ?

La monnaie est une belle femme qui n'épouse pas les pauvres
Sinon pourquoi suis-je là, tout seul marié sans dot ?
Pourquoi pour lui c'est crèche et vacances ?
Pour moi c'est stade de foot sans cage, sans filet,
Sans même une ligne blanche.

Certains naissent dans les choux et d'autres dans la merde.
Pourquoi ça pue autour de moi, quoi, tu me cherches ?
Pourquoi chez lui c'est des Noëls ensoleillés ?
Pourquoi chez moi le rêve est évincé par une réalité glacée ?

Lui a droit à des études poussées.
Pourquoi j'ai pas assez d'argent pour m'acheter
Leurs livres et leurs cahiers ?
Pourquoi j'ai dû stopper les cours ?
Pourquoi lui n'avait de frère à nourrir, pourquoi j'ai dealé chaque jour ?

Pourquoi quand moi je plonge, lui passe sa thèse ?
Pourquoi les cages d'acier, les cages dorées agissent à leur aise ?
Son astre brillait plus que le mien sous la grande toile.
Pourquoi ne suis-je pas né sous la même étoile ?

{Refrain, 2x}

Comme Issa, pourquoi ne suis-je pas né sous la bonne étoile ?
Veillant sur moi ? Couloir plein de toiles, crachats,
Tchatche à deux francs, courbettes des tapettes devant,
Supporter de grandir dans un franc, c'est trop décevant.

Simplement en culotte courte,
Ne pas faire la pelle mécanique plate avec des pots de yaourt.
C'est pas grave, je n'en veux à personne et si mon heure sonne
Je m'en irais comme je suis venu.

Adolescent incandescent chiant à tour de bras sur le fruit défendu,
Innocents, témoins de types abattus dans la rue.
C'est une enfance ? Une pourriture, ouais.
Je ne draguais pas mais virais des tartes aux petites avec les couettes.

Pâle de peur devant mon père, ma sœur portait le voile.
Je revois, à l'école les gosses qui la croisent se poilent.
C'est rien Léa, si on était moins scrupuleux,
Un peu de jeu du feu on serait comme eux.

Mais j'ai pleuré pour avoir un job, comme un crevard sans boire,
Les "Je t'aime" à mes parents seul dans mon lit le soir.
Chacun son boulet, sans ambition la vie c'est trop long,
Ecrire des poèmes, pisser violent dans un violon.

Tu te fixes sur un wagon, c'est la locomotive que tu manques.
C'est pas la couleur, c'est le compte en banque.
J'exprime mon avis, même si tout le monde s'en fiche.
Je ne serais pas comme ça si j'avais vu la vie riche.

{Refrain, 2x}

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

 

 

- Adorno, Réflexions en vue d’une Sociologie de la musique, Musique en jeu, 1972

- Alphons Silbermann, Introduction à une sociologie de la musique, P.U.F, 1955

- Anne Marie Green, Les Adolescents et la musique, 1986

- Anne Marie Green, Des Jeunes et des musiques

- Balmir (Guy-Claude), Du chant au poème. Essai sur le chant et la poésie populaires des noirs américains (1982), Payot.

- Bastide (Roger), Les Amériques Noires, 1967 Payot.

- David Dufresne,  Yo révolution rap, éditions Ramsay

- F.Escal, Musique, Langage, Sémiotique Musicale, 1976

- Jacques Attali, Bruits,  P.U.F, 1977

- Jean Molino,  Fait musical et sémiologie de la musique, Musique en jeu, Janvier 1975

- Jean-Pierre Vivier, Culture hip-hop et politique de la ville, 1991

- Louis Jean Calvet, L’Argot, Que sais-je ?, 1994

- Laurent Muchielli, « la violence des banlieues est une réponse à une société violente et injuste », Le Monde, 12.11.01

-                                            Levi-strauss, Le Cru et le Cuit, 1964 .

- Levine (Lawrence W.), Black culture and black consciousness, Afro american folk thought from slavery to freedom New York 1978, Oxford University Press.
Lomax (Alan) Mister Jelly Roll 1950, Traduction Henri Parisot 1964, Réédition Presses Universitaires de Grenoble 1980.

-  L.Boltanski, Le Fétichisme linguistique, ARSS, 1975

- Luc Boltanski, La formulation des règles de la BD, ARSS, 1975

-  Mauger et C.F Poliak, La Politique des bandes, Politix, 1991

- Mauger et C.F Poliak, Les Loubards, ARSS, 1983

- Marcel Belviannes, Sociologie de la musique, 1951

- M.Boucher, Rap, Expression des lascars

- Nelson (Havelock) & Gonzales (Michael A.), Bring the noise, a guide to rap music and hip-hop culture New York 1991 Harmony Books

- Perkins (Williams Eric), Droppin science critical essays on rap music and hip hop culture Philadelphia 1996, Temple University Press.

- Pierre Adolphe Bacquet, Rap ta France, 1996

-  P.Bourdieu, Genèse et structure du champ religieux, Revue française de sociologie, 1971

-  P.Bourdieu, Le Couturier et sa griffe :contribution à une théorie de la magie sociale, ARSS, 1975

- P.Bourdieu, Ce que parler veut dire, 1991

- P.Bourdieu, Réponses, 1992

- P.Bourdieu, La Représentation politique, ARSS

- P.Bourdieu, La délégation et le fétichisme politique, ARSS

- P.Bourdieu, Questions, 1991

- Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art

- Pierre Bourdieu, Le Couturier et sa griffe

- P.Bourdieu, Propos sur le champ politique, 2000

-                                            Olivier Cachin, L’Offensive rap, 1996

- Rose (Tricia), Black noise, rap music and black culture in contemporary America, 1994 Wesleyan University Press.

- Smitherman (Geneva), Talkin’ and testifyin’. The language of Black America Detroit 1977, Wayne State University Press.

- Stavsky (Loïs), Mozezon (I.E.), Mozezon (Dany Reyes), A 2 Z : the book of rap & hip-hop slang, New York 1995, Boulevard Books.

 

- Supicic, Musique et Société, Perspectives pour une sociologie de la musique, 1971

- Entretien réalisé avec Amé, membre du groupe « La Rumeur »


 
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Revue de presse

 

 

 

 

 

Le spectaculaire et fragile succès du rap français

Un genre menacé par ses propres excès

 

 

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 20 Juin 1998

 

LE RAP FRANÇAIS a sans doute moins à craindre des changements de mode que de ses propres excès. Difficile, par exemple, d'assister aujourd'hui à un concert ou une soirée hip-hop sans craindre des échauffourées(1). Si la majorité du public est là pour faire la fête, certains viennent sciemment la gâcher. La récente tournée d'IAM a ainsi été minée par de nombreuses bagarres(2). Les producteurs deviennent en conséquence de plus en plus réticents à programmer du rap.

Pour Philippe Maher, responsable de la société de production SDG Warhead, ayant travaillé entre autres avec Stomy Bugsy, Afro Jazz ou Expression Direkt, les « conditions sont difficiles. Le public est chaud, le prix des places est bas. La violence risque de stopper l'élargissement du genre. Même les groupes qui vendent beaucoup de disques ont du mal à remplir les salles(5) ».

 

RIVALITÉS ENTRE GROUPES

 

Les artistes ne donnent pas toujours l'exemple(3). Ces derniers temps, la compétition entre tchatcheurs, inhérente au genre, a tourné à l'aigre. Des joutes verbales, on est souvent passé au combat physique. Entouré des copains du quartier ou de la ville, le groupe devient une bande qui affronte d'autres bandes(4). IAM et Secteur A ont accumulé, par exemple, les contentieux avec SuprEme NTM. Récemment, lors d'un concert au Bataclan, une bagarre a opposé très violemment les Neg'Marrons à Joey Starr, l'un des chanteurs de NTM.

Ces rivalités entre groupes peuvent devenir sanglantes. Djo, le leader de Mafia Trece, s'inquiète : « Aux Etats-Unis, deux génies du rap, 2Pac et Notorious BIG, se sont entretués par bandes interposées. Si ça continue comme ça en France, il y aura un mort. C'est inadmissible que des gens qui devraient être des modèles se prennent la tête. Il y a assez de place sur ce marché pour coexister pacifiquement. »

Appliquées au « business », les méthodes de la rue peuvent avoir un effet dévastateur. Victimes d'incidents, de menaces et parfois de chantage, plusieurs maisons de disques ont dû renforcer leur service de sécurité(6). Certaines, pourtant, semblent jouer avec le feu. Quand Double T Music fait défiler sur les Champs-Elysées son groupe, Ad'Hoc-1, sur un camion sonorisé dans le but plus ou moins avoué de provoquer un incident avec la police pouvant « servir » la promotion d'un disque, quel est son degré d'irresponsabilité ? Et que dire d'un label (Hostile/Delabel) qui, pour le lancement de l'album d'Arsenik, offre une balle de fusil comme porte-clés ?

Une certaine culture rap engendre-t-elle la violence, ou n'est-elle que le reflet des frustrations d'un milieu et d'une société ? Si la seconde réponse est évidemment la bonne, encore faudrait-il que certains groupes cessent de mimer trop complaisamment cette frime gangsta-rap où l'objet du désir est un flingue et l'idéal féminin, une actrice porno(7).

 

STEPHANE DAVET

 

 

PRINTEMPS DE BOURGES

Le rap, entre violence des textes et violence des fans

 

 

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 18 Avril 1998

 

C'est un document écrit, un tableau qui montre combien le rap perturbe les festivals musicaux depuis trois ou quatre ans(1). Ce tableau a été dressé par Daniel Colling, patron du Printemps, pour le compte du préfet du Cher. On y retrouve des informations sur les concerts, et notamment sur le comportement potentiel du public. D'un côté, il y a les spectateurs « familial-calme », « populaire et adulte », « attentif », « rêveur », « festif ». Et de l'autre, des « jeunes revendicatifs », « agressifs » les fans de rap(2). Ces commentaires sont confirmés par Marie-Françoise Haye-Guyot, préfet du Cher, qui souhaitait connaître « les spectacles à risques », formule qui rejoint les « populations à risques (4)» désignées par la direction technique du Printemps. Les spécialistes affirment que cette liste colle parfaitement au personnage de Daniel Colling, qui aime classer les groupes musicaux et publics en « tribus » et « sous-tribus ».

Le rap dérange. « Il ne faut pas grand-chose pour que ça pète », dit Fernando Ladeiro-Marques, un des programmateurs du Printemps, au point que « des festivals ont préféré écarter tout spectacle de rap ». Mais comment Bourges pourrait ignorer une musique qui n'a jamais été aussi populaire IAM, Doc Gyneco, NTM, Passi, Stomy Bugsy ont vendu 300 000 albums et plus et que le Printemps a favorisée en programmant IAM et NTM ? Cette année, la plupart des dix concerts rap font salle comble. Et celui d'IAM, dimanche 19 avril, devrait réunir 6 000 spectateurs au Stadium. « Un concert à hauts risques », dit-on à la direction technique du Printemps. D'où un « encadrement » solide. « Jamais il n'y a eu autant de flics sur le Printemps », disent des habitués, impression confirmée par la préfecture.

Jeudi 16 avril, 15 heures. Trois groupes de rap sont programmés à la salle Germinal, la plus « chaude » du Printemps : NAP, Hasheem, Afro Jazz. 80 francs le billet. D'un côté, cinq cents places qui seront remplies. De l'autre, une dizaine de gros bras appartenant à une entreprise spécialisée « on ne peut pas faire prendre de risque à notre service d'ordre classique, vu l'historique de cette salle », dit Thierry Gravelle, responsable de la sécurité au Printemps auxquels il faut ajouter une dizaine de CRS et un vigile avec son chien. « Le chien, avec les gens qu'il y a, il est tendu. »(5)

Les gens en question sont une centaine de jeunes vêtus de jogging et coiffés d'une casquette, qui n'ont pas de billets(3). Ils se racontent : « Nous venons de la Chancellerie (un des deux quartiers « difficiles » de Bourges, avec celui de Gibjoncs). C'est notre quartier et on l'aime. On squatte le Printemps parce que ça bouge. On aime le rap parce que c'est la musique de nos quartiers. On n'a pas d'argent pour ça parce que le Père Noël est déjà passé. » Les adolescents ajoutent : « Germinal est le lieu qui nous accueille le mieux. » Cette salle programme des concerts toute l'année, rap et techno, notamment par le biais d'associations, comme Emmetrop, qui « font du bon boulot dans les quartiers ». Un conflit semble opposer Emmetrop au Printemps : « L'association a un discours de réinsertion adapté à la cité, mais pas au festival », explique Thierry Gravelle. Comment peut-on multiplier les concerts rap tout en ignorant les jeunes dont il est question dans les textes ? Voire les heurter en leur opposant des services d'ordre musclés ? Le problème « préoccupe » Daniel Colling : « A partir du moment où nous ouvrons le Printemps aux musiques actuelles, donc au rap, avec des groupes qui ont un discours urbain radical et qui rejettent la société, il ne faut pas se plaindre des comportements de leurs publics. »

TROIS SCÈNES GRATUITES

Certains, en revanche, même au sein du festival, jugent « démagogiques » des groupes de rap qui « insultent l'Etat » mais viennent se produire dans un festival « largement subventionné ». Le préfet, tout en rejetant l'anathème dont a fait l'objet NTM à Toulon, a préféré, l'an dernier, rester hors d'un concert de Bourges pour « marquer [sa] solidarité avec des policiers qui étaient insultés ».

Daniel Colling rappelle quelques mesures qui font la fierté de Bourges : il gère la salle Germinal durant toute l'année ; trois scènes sont gratuites durant le Printemps ; le travail remarquable de l'association Cemea permet à des jeunes de dormir à Bourges, dans cinq internats de lycées, pour 10 francs ; un lieu a été ouvert pour la « population errante ». « Maintenant, on ne va pas régler les problèmes des jeunes des quartiers nord de Bourges en cinq jours. »

Ce travail de fond est notamment celui de la préfecture du Cher. La persuasive Marie-Françoise Haye-Guyot multiplie les actions de terrain, le dialogue avec les associations. « Je ne peux pas dire qu'on n'aura pas un grand incident qui dégénère. Mais j'espère avoir tout fait pour ne pas en arriver là. »

 

MICHEL GUERRIN

 

 

 

 

Le chanteur du groupe NTM condamné à deux mois de prison ferme

 

Joey Starr avait agressé une hôtesse de l'air

 

Didier Morville, alias Joey Starr, le chanteur du groupe de rap NTM, a été condamné, mercredi 24 février, par le tribunal correctionnel de Montpellier à deux mois de prison ferme et 30 000 francs (4 573 euros) d'amende. Il était poursuivi pour des violences commises sur une hôtesse de l'air d'Air France, le 29 novembre 1998, à l'hôtel Mercure de Montpellier, et pour outrage en parole envers trois policiers du commissariat de la ville ( Le Monde du 29 janvier 1999). Le chanteur devra, en outre, verser 2 000 francs (105 euros) de dommages et intérêts à ces fonctionnaires.

Au retour d'une longue soirée, Joey Starr avait eu une altercation avec la victime qui prenait son petit déjeuner avant d'embarquer sur un vol reliant Montpellier à Paris. L'hôtesse, réagissant à une remarque déplacée sur son physique, avait essuyé une gifle, reçu un agenda, puis un coup. Elle avait eu le nez fissuré. L'hôtesse avait renoncé à se porter partie civile, un arrangement financier ayant été trouvé avec son agresseur. Durant sa garde à vue, le chanteur avait ensuite proféré des insultes à l'encontre des policiers.

Lors de l'audience, le 27 janvier, Joey Starr avait expliqué qu'il souffrait d'une fatigue nerveuse due à son travail et qu'il n'avait pas supporté la rébellion de l'hôtesse face à des propos qu'il disait destinés à son frère. Après avoir accusé un policier de l'avoir frappé pendant sa garde à vue, il avait présenté ses excuses aux fonctionnaires.

Outre sa condamnation à deux mois de prison avec sursis prononcée en juin 1997 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour avoir tenu des « propos outrageants » envers la police lors d'un concert à La Seyne-sur-Mer en juillet 1995, le chanteur a déjà fait l'objet de cinq condamnations en huit ans : pour rébellion et outrage à agent, pour conduite sans permis avec un véhicule sans assurance, pour détention d'arme de quatrième catégorie et pour violence avec usage d'une arme.

L'ancienne compagne du chanteur a, par ailleurs, déposé plainte contre lui, mardi 23 février, au parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis), pour « violences volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de plus de huit jours ».

Le substitut du procureur de la République avait requis une peine de un à deux mois de prison ferme à l'encontre de Didier Morville. Estimant dans un unique attendu que l'ordre public avait fait l'objet d' « un trouble grave », le tribunal a suivi le parquet à la lettre , rappelant que le chanteur avait déjà commis de « multiples faits de ce type » et eu de « multiples avertissements dont il n'a pas tenu compte ». Jeudi matin 25 février, Joey Starr n'avait pas fait savoir s'il comptait faire appel de cette décision .

JACQUES MONIN

 

 

 

 

Titre : Joey Starr, le rappeur affranchi de NTM
Auteur : STEPHANE DAVET
Date de publication : 29 Janvier 2002 - Source : LE MONDE - Taille de l'article : 1161 mots

 

Joey Starr, le rappeur affranchi de NTM

 

Après une série d'ennuis judiciaires, le chanteur commence une carrière solo... inaugurée par un procès, et fédère de nouvelles voix du hip-hop au sein de sa maison de production, B.O.S.S.

 

SANS griller de feu rouge ni brûler l'asphalte, Joey Starr gare son break bleu devant l'entrée de Com-8, boutique des Halles - streetwear but chic - qui diffuse la marque de vêtements du même nom créée par lui et deux associés. Une crise de sciatique empêche le rappeur de déployer avec l'assurance habituelle sa carcasse de bad boy. Il fait le tour du proprio, embrasse une mamma italienne, plaisante avec un complice sur les costumes qu'ils devront porter pour la bar-mitsva du fils d'un copain. Pour l'heure, Didier Morville a bien le look Joey Starr, son double tapageur depuis la création de NTM au milieu des années 1980. Battledress stylisé, bagouse et bracelet de montre massifs sur mains battoirs, bridge en or qui signe ce visage d'un sourire carnassier.

Malgré les cicatrices - la plus récente provoquée, au cou, par un morceau de verre tenu par une ancienne fiancée -, le bonhomme a l'air en forme et apaisé. Sa célèbre voix de jaguar des cités s'est faite plus douce, comme si moins de cailloux roulaient au fond de sa gorge. Un effet de ses activités extramusicales ? « Je ne vois pas ça comme une coupure, rectifie Joey Starr. Je m'implique dans le stylisme, nous investissons aussi dans l'image, avec Com-8 Production, pour des courts métrages, des clips, des projets de cinéma, mais je me suis toujours intéressé à ça. Il y a là quelque chose ancré dans l'énergie du hip-hop. »

Moins « culture de rue » peut-être, ses récentes apparitions dans Burger Quizz, le jeu grand public de Canal +, ou le morceau Gazelle, figurant sur la bande-son d' Astérix et Obélix : mission Cléopâtre. Après avoir incarné le grand méchant loup du rap, Joey Starr deviendra-t-il l'ami des enfants ? Mais il était dit que ce grand costaud attirerait la foudre. Une semaine avant la sortie d' Astérix, une procédure en référé était engagée par les producteurs de Féroce, un film de Gilles de Maistre, pour interdire l'utilisation de Gazelle, la société du réalisateur affirmant avoir acquis l'exclusivité des droits de la chanson. Le 25 janvier, les producteurs des deux films annonçaient être parvenus à un accord provisoire pour ne pas entraver la sortie d' Astérix, en attendant un jugement sur le fond.

Cette affaire fait figure de petite bière en comparaison des épisodes judiciaires qui, ces deux dernières années, ont rythmé la vie du chanteur. L'an dernier, Joey Starr a même écopé d'un mois de prison ferme pour détention d'arme illégale. Il appréhendait son séjour à Fleury-Mérogis. « Je me suis dit : «Ça va être ma fête.» Toutes les deux heures, jour et nuit, les gardiens venaient voir ce que je foutais. Par crainte peut-être du suicide. Mes codétenus, par contre, ont été supers. Avec NTM, je faisais des dédicaces aux gens que je connaissais en prison, je ne pensais pas que cela pouvait toucher autant de monde dans la population carcérale. Ecouter cette musique représentait pour eux une petite parcelle de liberté. »

Groupe emblématique et pionnier du rap français, héros pour certains, repoussoir absolu pour d'autres, Suprême NTM est muet depuis quatre ans. Après quatre albums, vendus à plus de deux millions d'exemplaires, le duo formé en Seine-Saint-Denis par Kool Shen et Joey Starr s'est déclaré en stand-by sans qu'on sache si les deux rappeurs pourront un jour renouer les fils distendus par les ennuis judiciaires de Didier et leur implication dans des structures concurrentes, les maisons de productions IV My People, créée par Kool Shen, et B.O.S.S. of Scandalz Strategyz, pilotée par Joey Starr et ses copains. « au coeur de la mouvance »

Car, même en solo, l'animal fraie encore en bande. Son pavillon de Saint-Ouen abrite les activités d'une vraie communauté hip-hop. Ses partenaires de B.O.S.S. - DJ Spank, DJ James, Naughty J et Terror Seb - y vivent quasiment à plein temps, et son studio d'enregistrement comme l'émission de radio diffusée de là-bas, tous les jeudis, sur Skyrock, de minuit à cinq heures du matin, fédèrent une nuée d'apprentis rappeurs et de grandes gueules confirmées. « Certaines nuits, on se retrouve à cinquante. Cela me permet de rester au coeur de la mouvance. »

On imagine le club réservé aux lascars. « Chaque corde de guitare a sa propre vibration, sans distinction de sexe. A partir du moment où quelqu'un crée l'émulsion, je ne me pose pas la question meuf/mec. Je produis d'ailleurs le prochain album de Lady Laistee. A partir du moment où tu as le mord, tu es imbattable, fille ou garçon. » Si les chansons de NTM n'ont jamais cédé au mépris machiste, les victimes des « pétages de plomb » de Joey Starr - de l'hôtesse de l'air d'Air France à la petite amie, Jennifer Galin - ont parfois été des femmes. Mais le hurleur du 93 a aussi pu être proche ou intime de Françoise Sagan, Florence Artaud ou Béatrice Dalle.

A cheval entre deux mondes - celui de la notoriété et celui de ses racines -, Didier Morville a plus d'une fois perdu l'équilibre. « Je suis tombé dans la musique par accident. C'était presque plus simple de ne vivre que d'un côté, celui de la caille, des vandales. En passant de l'autre côté, tu as parfois des impressions d'accalmie, mais le sac à dos de la banlieue reste accroché à toi. Ça fait d'autant plus mal. » Le charisme de Joey Starr, l'urgence de ses mots ont aussi été ceux d'une agressivité et de frustrations qui ont pu s'exprimer jusqu'à l'autodestruction. « Il m'est arrivé d'aller embrasser le ciel pour suspendre le temps, pour me libérer de mes phobies, de mon malaise. On est des combattants de l'ennui. On ne sait pas toujours agencer nos émotions et on se prend des retours de bâton. Quelque part, quand j'ai dit : «Qu'est ce qu'on attend pour foutre le feu ?», ça parlait d'amour. Mais on n'a jamais su me décrire ou m'entendre de la sorte. »

Un déclic a-t-il pu se produire grâce aux thérapies imposées par les tribunaux ? « J'ai fait acte de présence, mais à partir du moment où ces séances sont imposées, cela ne peut pas fonctionner avec moi. Ce travail, je l'ai surtout fait en parlant beaucoup à des amis très proches. En même temps, mes douleurs sont mes tremplins, je n'ai pas envie de perdre cette source de spontanéité. » Le hip-hop reste un exutoire et une bouée. « Sans l'écriture, je serais aussi à cran que les mecs de chez moi. Avec le recul, je comprends encore mieux le pourquoi de cette tension. Le malaise n'est pas propre aux jeunes, on l'a vu avec les manifs de gendarmes et de keufs. Quand tu ne peux rien extérioriser, c'est la mort à petit feu. »

 

Biographie 1967Naissance de Didier Morville à Paris. 1986 Formation de NTM. 2001 Condamnation de Joey Starr à un mois de prison ferme. 2002 « Gazelle », premier single solo.

 

 

STEPHANE DAVET

 

 

 

 

Rap entre pop et dollars

 

 

Le hip-hop a dépassé les frontières du ghetto noir américain pour séduire les « teen-agers » blancs. A la source de leur fascination, un cocktail de sexe, de provocation et d'argent

 

Titre : Rap entre pop et dollars
Auteur : JULIEN GUICHART
Date de publication : 20 Octobre 2001 - Source : LE MONDE STYLE - Taille de l'article : 607 mots

 

 

Né dans les ghettos du Bronx il y a plus de vingt ans, le hip-hop fait désormais partie du paysage de la musique pop américaine : diffusion sur la chaîne musicale MTV, couverture de magazines comme Spin ou Rolling Stone.

Les ventes de rap ne se sont jamais aussi bien portées : aux Etats-Unis, le dernier album du rappeur Eminem s'est vendu à neuf millions d'exemplaires, celui du nouveau venu Nelly à sept millions ; en France, L'Ecole du Micro d'argent, titre du groupe marseillais IAM, s'est vendu à un million d'exemplaires et l'album Suprême de NTM à sept cent mille. En France encore, Skyrock, seule radio à programmer du rap, a été imitée depuis par les FM concurrentes.

Le hip-hop a largement dépassé le marché de la communauté afro-américaine : 70 % des acheteurs de rap sont des adolescents blancs. Aux Etats-Unis, dans les banlieues « middle class », les ados font tourner du rap dans leurs « ghettoblasters ». Qu'ils écoutent le dernier disque du rappeur Jay-Z ou celui du groupe de rock Slipknot, tous portent des pantalons baggy taille basse avec caleçon apparent, mode issue des prisons de Californie et popularisée par les rappeurs. A la source de cette fascination, un cocktail de violence, de sexe et d'argent. Les associations parentales ont d'ailleurs longtemps dénoncé la violence des textes hip-hop. Depuis les assassinats, toujours impunis, de Notorious BIG et Tupac Shakur, l'apologie du crime se fait plus discrète, mais le rap reste toujours à la limite de la légalité avec la narration des « deals » de crack et des larcins qui permettent de survivre dans le ghetto. Des artistes établis font la « une » avec leurs déboires judiciaires : impliqué dans une fusillade dans un club new- yorkais, Puff Daddy a fait appel à l'avocat d'O.J. Simpson pour assurer sa défense. Récemment, le rappeur ODB, recherché pour détention de drogue et délit de fuite, a réussi à produire un concert de son groupe (le Wu-Tang Clan) sous les yeux de la police ! Sans parler des déboires de Joey Starr largement relatés dans les médias français.

 

Violence aussi dans les mots qui prônent le sexe facile. Les textes, souvent machistes et misogynes, traitent les femmes de bitch ou hoes (pute, salope), les relèguent au rang de simples instruments de plaisirs.

Censurées sur les radios, les chansons sont livrées en version intégrale sur des CD avec l 'étiquette : parental advisory : explicit content (avertissement parental : contenu explicite). Pour certains adolescents rebelles, cet avertissement devient un gage de qualité. Eminem a ainsi construit son succès à coups de provocation en ridiculisant des artistes comme Britney Spears ou Christina Aguilera, symboles de la musique pop adolescente.

Plus nouvelle, la glorification du « dieu dollar » est devenu la nouvelle éthique du hip-hop commercial. Le producteur Puff Daddy n'a ainsi jamais caché son ambition de vendre le maximum de disques en « samplant » (choisir quelques phrases musicales d'un morceau de musique pour le retravailler avec d'autres instruments) des succès funk ou pop. It's All About The Benjamins (« Tout est question de Benjamins »), Benjamin Franklin étant le président américain représenté sur les billets de 100 dollars. Parfois critiqué, Puffy symbolise néanmoins pour une génération un mode de vie flamboyant.

A La Nouvelle-Orléans, un groupe se surnomme les Cash Money. Leur plus gros tube : Bling Bling, une onomatopée reproduisant le bruit d'ouverture d'un tiroir-caisse. Dans leurs clips, ces nouveaux millionnaires âgés de moins de vingt ans filment des voitures de luxe et des bijoux sertis de diamants, emblèmes d'un rap qui a remplacé la révolte par le matérialisme et l'hédonisme apolitique.

 

JULIEN GUICHART